Les  » Congrés » , instruments du concert Européen au XIX éme siècle.

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4 juillet, 20:09
Épistémologie du politique européen

L’Europe des congrès, au xixe siècle, culmine dans trois grands moments : le congrès de Vienne en 1814 et 1815 ; le congrès de Paris en 1856 ; le congrès de Berlin en 1878. Entre ces dates et jusqu’à la crise finale de 1914, le Concert européen s’est traduit soit par des congrès secondaires comme au temps de la Sainte-Alliance, soit par des conférences diplomatiques, soit par des négociations multilatérales sur des sujets techniques, même au temps des nationalismes exacerbés.

Le « congrès » diplomatique n’a certes pas été inventé au xixe siècle – la paix de Westphalie reste une référence historique pendant toute la période –, mais la diplomatie de ce siècle a cela de moderne qu’elle a développé diverses formes de diplomatie multilatérale. De prime abord, la chronologie des congrès (réunions diplomatiques où les grandes puissances sont représentées au moins par leur ministre des Affaires étrangères) paraît déséquilibrée : l’époque de la Sainte-Alliance voit se succéder les congrès de Vienne, Aix-la-Chapelle (1818), Troppau (1820), Laybach (1821) et Vérone (1822) ; il faut attendre 1856 pour un sommet de grande ampleur, à Paris, puis à Berlin en 1878. Mais ce déséquilibre chronologique est trompeur, car il ne rend pas compte des réalités, fluctuantes mais non négligeables, du « Concert européen », système international qui caractérise le siècle écoulé entre la chute de Napoléon et le déclenchement de la Grande Guerre.

L’Europe des congrès est née des dernières coalitions contre Napoléon. Le 5 février 1814 s’ouvre le congrès de Châtillon, réunissant les plénipotentiaires de la Russie, de l’Autriche, de la Prusse et de l’Angleterre. Après la victoire des alliés et la Restauration en France, le congrès de Vienne se tient de septembre 1814 à juin 1815. L’Alliance entend désormais garantir les deux principes constitutifs de la nouvelle Europe, la légitimité monarchique et l’équilibre européen, tout en dressant un rempart contre toutes velléités révolutionnaires, qu’elles viennent de France ou d’ailleurs. Le tsar Alexandre conçoit dans cet esprit le traité de la Sainte-Alliance en septembre 1815, auquel Metternich et beaucoup d’autres ne croient pas et n’accordent guère d’importance. Bien plus, le socle de l’Europe des congrès est alors la Quadruple Alliance scellée entre les vainqueurs de Napoléon lors du second traité de Paris (20 novembre 1815). Son article 6 prévoit « de renouveler à des époques déterminées » des réunions entre les souverains ou leurs ministres, « consacrées aux grands intérêts communs et à l’examen des mesures qui, dans chacune de ces époques, seront jugées les plus salutaires pour le repos et la prospérité des peuples et pour le maintien de la paix en Europe ».

Le congrès d’Aix-la-Chapelle consacre l’entrée de la France dans l’alliance des puissances. Les cinq « grands », enfin au complet, sont censés former une sorte de « directoire européen » chargé de maintenir le statu quo. À Troppau et à Laybach, l’Autriche demande qu’on lui confie la mission d’intervenir seule contre la révolution de Naples. Le congrès de Vérone investit la France d’une mission similaire contre les libéraux espagnols. Mais en réalité, le consensus n’existe pas entre les grandes puissances, l’Angleterre étant hostile par principe à l’intervention armée dans les affaires d’un pays indépendant. Pour cette raison, le « directoire européen » ne survit pas à la question de Grèce, qui sera résolue par un concert restreint, avec l’Angleterre, la Russie et la France. « À partir du commencement de 1826, la quintuple alliance n’existait plus, reconnaît Metternich ; pour le public, elle subsistait encore sous le sobriquet de la Sainte-Alliance, et, comme telle, elle fut livrée au mépris des peuples par les meneurs du parti révolutionnaire. »

On entre alors dans une nouvelle phase : comme l’écrivait l’historien Charles Dupuis, « l’expérience avait démontré les avantages et les conditions des ententes. Si le Concert européen ne pouvait prétendre à gouverner l’Europe, il pouvait aspirer à prévenir, à limiter ou à liquider certaines crises européennes. C’est sous cette forme plus modeste, avec des intermittences et des horizons moins vastes, qu’une nouvelle carrière allait s’ouvrir à son action bienveillante. »

Après la question de Grèce, celle de Belgique éclate en août 1830. Et le 4 novembre, s’ouvre une conférence européenne sur les affaires belges, à Londres. Le lieu même est significatif : la conception anglaise du Concert européen s’est imposée. Le principe de non-intervention a prévalu : faute de ce moyen d’action, il faut savoir renoncer au statu quo et apprendre à négocier. Pour Palmerston, en acceptant de transiger dans la question belge pour maintenir la paix, les négociateurs « se sont conduits comme s’ils formaient un cabinet européen ». Le directoire s’est transformé en concert : moins ambitieux et moins rigide, mais plus souple et plus efficace.

Lors de la crise orientale de 1840, le sort de l’Empire ottoman est en jeu, l’équilibre européen et la paix générale sont menacés. La France se retrouve isolée face aux quatre autres grandes puissances coalisées : elle doit céder, l’isolement la condamnant à être exclue du Concert européen, situation intenable pour elle. La conférence de Londres, en juillet 1841, termine l’affaire.

D’une certaine façon, un processus semblable se dessine lorsque, en 1853, la Russie veut étendre son hégémonie sur l’Empire ottoman. La France et l’Angleterre s’allient et cherchent à coaliser autour d’elles l’Autriche et la Prusse. Mais le succès n’est pas complet et la guerre de Crimée ne peut être évitée. Après la défaite de la Russie, le congrès de la Paix se tient à Paris, de février à avril 1856.

Le congrès de Paris, longtemps négligé mais mieux connu aujourd’hui, apparaît comme le véritable apogée de la diplomatie du « Concert européen ». Non seulement les diplomates perfectionnent les procédés de négociations multilatérales, mais ils envisagent aussi de les étendre : sur le plan politique, en prévoyant notamment que le sort des principautés roumaines soit fixé par une commission européenne, après consultation des populations ; sur le plan technique, en prenant des décisions collectives sur le droit maritime et en favorisant les conférences internationales (sur la télégraphie, les questions sanitaires, la navigation du Danube, et plus tard sur les problèmes monétaires). De conférence en conférence, une vie diplomatique et juridique internationale s’est développée aux limites du politique, dans des domaines essentiellement techniques, avec succès : cet essor du droit international et l’émergence d’une « communauté internationale » se poursuivront, même au temps des nationalismes.

Aux lendemains du congrès de Paris, on a pu croire le Concert européen capable de désamorcer les crises internationales. Tel est le cas lorsque surgissent les crises de Neuchâtel puis du Monténégro, et plus tard celles du Liban ou de la Crète. À chacune de ces crises, se réunit une conférence d’ambassadeurs des grandes puissances et l’embrasement est évité.

Si les affaires orientales ont donc vu fonctionner le Concert européen – et ce sera encore le cas lors du congrès de Berlin en 1878 – les transformations de l’Europe occidentale se sont faites en dehors du Concert européen. L’Italie en 1859, 1860 et encore en 1867, la Pologne en 1863, le Danemark en 1864, l’Allemagne en 1866 et en 1870 : à chaque fois, un congrès est envisagé, mais la guerre l’emporte sur la diplomatie – l’affaire du Luxembourg en 1867 faisant exception.

Le Concert européen n’a donc pas permis de gérer pacifiquement le mouvement des nationalités en Europe. Après 1870, il pâtira de la constitution de systèmes d’alliances diplomatiques figées. Mais il reste une réalité pour les questions orientales – en sus du congrès de Berlin de 1878, les conférences diplomatiques ont été nombreuses jusqu’à celle de Londres en 1913 au sujet des Balkans – et extra-européennes : la conférence d’Algésiras, en 1906, en est le dernier moment de grande ampleur, mais marque aussi, par le rôle nouveau des États-Unis, l’entrée dans un nouveau siècle.

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