L’esprit flottait, et à la faveur d’un regard sur Terre, la lumière se reflétait sur les âmes des hommes. Nul ne s’étonne alors que le Bien, le Beau, l’Abondance puissent couler de concert des vertigineuses cimes alpestres aux océans d’amour.
Les jeunes enfants conservent alors, comme un héritage, cette instantanéité de l’esprit, cette volupté du savoir instantané, ce don de compréhension des langages, et cette merveille féérique que de réaliser librement leur rêve.
En ces temps jalonnés des effets saisonniers du théâtre terrestre la durée ne souffrait d’aucune mesure.
Quand la terre verdissait, déjà les fleurs appelaient l’ombre et la chaleur. Ces dernières projetaient des feuillages bruns et ocres sur le sol; ce tapis protecteur scrutait ensuite les horizons neigeux et prometteurs d’une prochaine explosion de puissance : la reverdie.
Lorsque sous la brume, la lumière extérieure était au plus faible, la rigueur des éléments engourdissait les enfants. Assagis et obéissants, ils guettaient sans malice l’étincelle d’un cristal de neige piégé sur une branche de sapin, une féérie, une scénette d’espérance, un air de déjà-vu.
Tous formaient alors des rêves qui se réalisaient sous le sapin scintillant.
Des joux (bois) tous proches les jouets étaient délivrés, des cadeaux rêvés abondaient autant que le ciel y pourvoyait.
Mais, imitant les exemples de mauvais adultes, des enfants oublièrent d’être sages, d’autres devinrent méchants, désobéissants, envieux et bien pire encore : ils furent de mauvais exemples en grandissant. Les mauvais n’obtenant plus rien ou presque, ils se crurent injustement punis, ils maudirent le charme des rêves.
Parfois, des parents désemparés raflèrent les rares présents et les remirent à leurs enfants après qu’ils se fussent amendés, sinon, les cadeaux étaient brûlés dans l’enfer du feu estival, altérant encore le charme.
Ces actes désordonnés de volonté terrestre achevèrent de rompre le lien entre l’esprit et la réalisation, l’enchantement s’évanouit et tous les enfants furent durement privés du fruit de leurs rêves.
La puissance de l’esprit est ou n’est pas, elle ne peut se rafistoler par l’exercice de la main, les jérémiades ou la volonté abrupte.
Gréés par le Mal, de bons parents tentèrent une bonne action réparatrice; leurs enfants ne devaient être privés par la faute de quelques mauvais.
Ils s’ingénièrent à corriger cette panne du ciel. Afin de perpétuer également la féérie, ils en proposèrent une imitation: « un Père de Noël venu de contrées très lointaines apporterait de justes récompenses ».
Après la nuit des prières, au matin naissant, ils en vinrent à disposer de modestes présents pour les petits, reproduisant l’abondance providentielle avec le secret et le bien fol espoir de la réamorcer.
L’initiation de cette imitation n’était qu’une tromperie du singe ayant flairé l’aubaine.
D’autres parents qui avaient cessé de prier, souffraient eux aussi de la stérilité du ciel. Ils durent affronter leurs enfants turbulents, effrontés, à chaque génération plus envieux que leurs parents n’avaient pu l’être. Geignant de la privation, encouragés à l’excès ils réclamèrent même un nouveau genre de charité à laquelle ils s’étaient déclarés éligibles: ‘avoir droit à avoir’ des cadeaux de Noël.
Afin de préserver leur tranquillité, ces familles de mécréants, cornues aux oreilles pointues, ayant privé depuis très longtemps leurs enfants de leur capacité de rêver, sauvegardaient les apparences en imitant ceux qu’ils enviaient. Nullement embarrassées par la crasse de leur âme, elles en vinrent à fabriquer des jouets de leurs mains, des poupées dessinées et peintes sur un bout de carton, une fausse orange pour plusieurs, un chariot en allumettes tracté par un bouchon déguisé en cheval. La malignité aidant le talent grandit, ensuite, la sophistication put accomplir des prouesses.
Bien sûr, ces parents prétendirent aussi qu’un Père de Noël apportait ces choses-là chez eux comme chez les autres : avec délectation le singe encourage à reproduire l’imitation qu’il a provoquée.
Dans l’esprit, Dieu seul sait pourquoi, tous les Pères de Noël ont tendance à redevenir un, ceci les obligeant à tous se déguiser pour faire croire, un soir par an, que le Père Noël est doué d’ubiquité, qu’il flotte lui aussi dans les airs au moyen d’un équipage.
Au quotidien, dans les rues, une redondance de Pères Noël s’affiche, des verts, des rouges ; des bons des mauvais, des diables, des gros, des énormes, des motorisés, des volants, des grimpeurs et même des coureurs à pied. Quand, dans les Albères ( Alpes ibères) naît un Père Noël « Caganer », l’équivoque connait enfin son trône symbolique d’inversion accomplie.
Largement répandue la tromperie sombre aujourd’hui dans la confusion: rarement, la lumière faiblit encore sur le miroir terni de l’âme enfantine.
L’esprit éclipsé ne flotte plus, tout juste son parfum ineffable est-il encore capté que par de très fines narines.
Voilà comment ont dégénéré les rêves d’espérance que l’enfant formait au plus sombre du cycle de la Terre, celui qui encourage à l’humilité afin de devoir un jour passer par le chas d’une aiguille.
Des premiers âges, il ne demeure rien de la puissance du rêve enfantin.
Pourtant, quand la croyance sincère illumine la fraîcheur enfantine : un Père Noël de composition factice intervient encore en leur faveur, puis, p’schittttt : une main maligne rebouche le flacon du rêve, et le simulacre disparaît pour un an.
Voilà les parents condamnés à officier, croyant ainsi payer une dette; et les plus endettés devant le ciel s’acquittant ici-bas des exigences les plus péremptoires.
Ainsi la prison du désir a-t-elle supplanté la liberté du rêve.
Seuls les diablotins tapis au fonds des tiroirs- caisses se félicitent du rapport féérique du si faible investissement de leur maître: ayant provoqué une seule bonne intention il a pavé tout un enfer.
Sentence de Noël:
«Noël priant, Noël vivant» Foi de croyant.
«Noël goulu, Panse repue» Foin de cornu.
Christian Boineau