Chronique d’héraldique n° 3
Si la langue du blason apparaît hermétique à nos contemporains c’est parce qu’au fil des siècles passés (depuis le XV ème siècle environ) elle s’est progressivement éloignée de la langue usuelle. Ceci tient à la culture d’un certain archaïsme dans le vocabulaire autant qu’à l’emploi de formules souvent compliquées et parfois même pédantes dans la syntaxe. Devenant inintelligible pour le commun des mortels, celui-ci, même s’il reconnaît et apprécie la beauté et la richesse symbolique des images, s’est détourné de son usage au profit des logotypes ( par abréviation ; logos) qui se passent de description car ils ne s’adressent qu’au cerveau primitif ( dit aussi cerveau reptilien)
Pourtant, cette langue est facilement accessible à chacun d’entre nous au prix de quelques minimes efforts et d’un peu de temps. Si l’on se donne la peine de franchir le pas des premières difficultés apparentes, on en est vite récompensé et on devient capable de décrire les trois quarts des armoiries rencontrées.
On est alors tenté d’aller plus loin et le désir d’identification des armoiries observées sur les monuments, les oeuvres et objets d’art, la vaisselle ou les reliures de livres anciens par exemple vient naturellement. Mais vient aussi le désir de blasonner et, pourquoi pas, celui de créer ses propres armoiries puisque nous avons rappelé que chacun est libre d’adopter les armoiries de son choix et d’en faire l’usage privé qui lui convient, à la seule condition de ne pas usurper celles d’autrui.
Pour tout cela il convient de rappeler les quelques règles fondamentales de la composition des armoiries, dont nous savons déjà qu’elles sont des emblèmes constitués de figures en couleur prenant place sur un support.
LE SUPPORT
Il s’agit le plus souvent d’un écu rappelant le bouclier médiéval. Il est généralement à peu près triangulaire mais, en réalité, la forme de l’écu a varié selon les pays et les époques. Il n’existe aucune obligation en la matière et la forme du support doit être laissée au choix du possesseur ou du créateur des armoiries. D’ailleurs, certaines figures s’inscrivent plus judicieusement dans des périmètres moins conventionnels que le seul écu.
C’est ainsi qu’on trouve des supports carrés (rappelant les bannières des anciens chevaliers et on parle alors d’écus « en bannière »), circulaires, ovales ou losangiques par exemple (principalement pour les armoiries des femmes). Parfois même, il n’existe pas de support spécifiques et la ou les figures prennent place, en tout ou partie, sur l’objet qui les reçoit : vêtement, objet d’art ou pièce de vaisselle mais aussi caparaçon (on en trouvera les plus beaux exemples dans le Grand Armorial équestre de la Toison d’Or .
Grand Armorial équestre de la Toison d’Or : le roi de France ( Ilustration ci-contre)
LES EMAUX
L’émail (pluriel: émaux) est le nom générique des couleurs en héraldique. Il est l’élément primordial d’une armoirie car s’il existe des armoiries sans figure il n’en existe pas sans émail. Les émaux concernent le champ (surface du support) et les figures (dont nous reparlerons plus loin). Ils sont en nombre limité et divisés en deux catégories: les métaux et les couleurs proprement dite
Les métaux sont au nombre de deux: l’or (jaune) et l’argent (blanc). Les couleurs au nombre de cinq: gueules (rouge), azur (bleu), sable (noir), sinople (vert) et pourpre(rouge-violacé) auxquelles s’ajoute le tanné (brun-orangé) beaucoup plus rare.
Au XVII ème siècle, avec le développement de l’imprimerie et pour des raisons liées aux techniques d’impression en noir et blanc, la représentation des couleurs fut traduite en un système de hachures encore utilisé de nos jours:
– or : un pointillé
– argent : un fond blanc
– gueules : des traits verticaux
– azur : des traits horizontaux
– sable : des traits horizontaux et verticaux croisés
– sinople : des traits obliques de gauche à droite
– pourpre : des traits obliques de droite à gauche
– tanné : des traits obliques croisés
Couleurs gravées ( Illustration ci-contre)
Notons qu’un support dont le champ est d’un seul émail dépourvu de figure est dit « plain » et non plein (exemple: un écu uniformément rouge est dit « de gueules plain » – cf. armoiries d’Albret ancien – ).
On doit ajouter aux émaux un certain nombre de fourrures (qui rappellent les pelleteries qui recouvraient parfois les boucliers médiévaux mais dont se vêtaient aussi les combattants). Il en existe deux principales: l’hermine ( représentée par de petites mouchetures de sable sur un champ d’argent) et le vair (représenté par une alternance de petites clochettes d’argent et d’azur posées tête-bêche sur plusieurs rangs horizontaux, appelés « tires », et décalées d’un rang à l’autre).
Deux autres sont moins fréquemment utilisées: la contre-hermine (représentée par des mouchetures d’argent sur un champ de sable) et le contre-vair (représenté par une alternance de clochettes d’argent et d’azur posées tête-bêche sur plusieurs rangs mais opposées par le sommet ou la pointe). Il existe d’autres variantes que vous pourrez retrouver ici :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fourrure_(héraldique)
A ce stade, il est essentiel de savoir que la disposition des émaux sur un support répond à une règle fondamentale, stricte et universelle: on ne peut mettre métal sur métal ni couleur sur couleur. On ne peut donc, en principe, jamais poser une figure de métal sur un champ ou une autre figure de métal pas plus qu’une figure de couleur sur un champ ou une autre figure de couleur. On ne peut pas non plus associer, en principe, côte à côte deux métaux ou deux couleurs. Cette règle ne souffre que de rares exceptions sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Dans tous les autres cas, les armoiries ne respectant pas cette règles des émaux sont dites « à enquerre » ( car il est alors nécessaire de « s’enquérir » du motif de cette dérogation). Le plus bel et classique exemple réside dans les armoiries de Jérusalem au temps du Royaume chrétien d’Orient : d’argent à la croix potencée d’or, cantonnée de quatre croisettes du même.
Royaume de Jérusalem (Illustration ci-contre)
En revanche, les fourrures peuvent être combinées indifféremment aux métaux, couleurs ou autres fourrures. Il en est de même des petits détails tels que langues, griffes, couronnes, etc. des animaux, par exemple, représentés sur le champ de l’écu.
LES FIGURES
Elles constituent le second élément de la composition d’une armoirie après les émaux. Elles se répartissent en deux groupes: d’une part les figures géométriques résultant de la division du support sur lequel elles occupent un emplacement immuable et, d’autre part, les meubles qui sont des éléments décoratifs mobiles.
Les premières se subdivisent en deux catégories: les pièces honorables , obtenues par des lignes horizontales, verticales ou obliques et qui sont posées sur le champ du support qu’elles laissent donc voir en partie (les plus fréquentes sont le chef, la fasce, la bande, la barre, le pal, la croix, le sautoir, le chevron, la bordure, etc.)
Maison de Béthune : d’argent à la fasce de gueules (Illustration ci-contre)
et les partitions qui résultent de l’assemblage de plusieurs pièces honorables de même forme et d’émaux alternés, toujours en nombre pair et recouvrant intégralement le champ (les plus fréquentes sont le parti, l’écartelé, le fascé, le burelé, le bandé, le barré, le palé, le coticé, l’échiqueté, etc.). Les traits séparant les pièces ou les partitions sont généralement droits mais ils peuvent être courbes ou avoir des formes très variées facilitant ainsi la diversité des armoiries. Les héraldistes scandinaves contemporains ont particulièrement développé ce dernier aspect comme nous le verrons plus tard.
Première maison de Turenne : coticé d’or et de gueules de douze pièces (Illustration ci-contre)
Les seconds (meubles) sont de natures très diverses: animaux, végétaux, édifices, objets en tous genres représentés sous des formes toujours stylisées, au point d’être parfois assez éloignées de la réalité. Le répertoire de ces meubles a toujours été très ouvert et il s’est régulièrement enrichi de figures exprimant la vie, les centres d’intérêt ou les croyances du moment. Cette grande souplesse de l’héraldique en fait un système emblématique sans pareil et qui, contrairement à ce que pensent ses détracteurs au nom d’une prétendue modernité, n’est en rien archaïque. Bien au contraire !
Les meubles peuvent être posés sur le champ du support comme sur les pièces honorables ou les partitions; ils peuvent également varier en nombre, en taille ou en forme. La situation et la combinaison des meubles y est assez libre et résulte davantage des habitudes que de règles précises: un meuble unique occupera généralement le centre du support et sera le plus grand possible; plusieurs meubles seront en revanche disposés, selon leur nombre, soit côte à côte, soit les uns au-dessus des autres, soit répartis deux et un, deux et deux, deux/un/deux, trois/deux/un, etc. Au-delà de douze meubles on n’en précise plus le nombre et on parle alors d’un semé, comme dans les premières armoiries de la France: d’azur semé de fleurs de lys d’or : ( Illustration ci-dessous)
Au total, voici un exemple de dessin d’armoiries personnelles dont le blasonnement est le suivant : Parti, au 1 de sinople au casque ouvert taré de profil d’argent, au 2 d’hermine à la croix fleurdelisée de gueules cantonnée de quatre navettes de tisserand du même posées en pal.
Elles respectent les règles énoncées plus haut et sont très évocatrices de la personnalité et du parcours de vie de son destinataire. Question : de qui s’agit-il ? (2)
À suivre…
Jean-Yves Pons, CJA.
(1) Grand Armorial équestre de la Toison d’Or, publié par Michel Pastoureau et Michel Popoff, éditions du Gui, Saint-Jorioz (74), 2001. Et aussi :https://www.photo.rmn.fr/Package/2C6NU0DRIESO?PBC=2CO5S9IZDCBN:2C6NU0LLKJDC:2C6NU0DRIESO
(2) Elles s’inspirent d’ailleurs des propos judicieux de Michel Pastoureau : » la langue du blason dit beaucoup avec peu » !
Index des chroniques « Approches de l’Héraldique »
A
- Aigle (2)
- Alain Texier (1)
- Approches de l’héraldique (1)
- Armoiries allusives (2)
- Armoiries du Royaume de France (1)
- Armoiries d’Etat- République française (2)
- Armorial équestre de la Toison d’or
- Armoiries impériales
B
- Baton péri (2)
C
- CJA (1, 2,3)
- Casque taré (3)
- Conseil dans l’Espérance du Roi (2)
- Couleurs (3)
H
- Hérauts d’armes
L
- Lambel (2)
- langue du Blason (3)
M
- Maison de Béthune(3)
- Maison de Turenne ( 3)
- Rémy Mathieu (1)
- Métaux (3)
P
- Michel Pastoureau (1)
- Parti (3)
R
- Royaume de Jérusalem (3)
S
- Semé (3
- Support (3)
S
- Conseil dans l’Espérance du Roi (2)
Merci Alain pour cette mise en page. Il manque malheureusement l’écu de Turenne ancien (coticé d’or et de gueules) qui a dû tomber de la tour du château desdits vicomtes ! (l’une des quatre principales vicomtés du Limousin tout de même).
Oups … correction effectuée.
Hélas, je ne les vois pas…
Et cette fois ?
Toujours pas !!!
Cette fois, tout me parait être en ordre.
Le lien suivant parle aussi d’une famille « Pons » …?
http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/Turenne.pdf
Ça y est, c’est en place !
En ce qui concerne les Pons cités pour Turenne, il s’agit d’une branche formée par le mariage de Renaud III, seigneur de Pons en Saintonge avec Marguerite de Bergerac dite « de Turenne » car ayant hérité d’une partie de la vicomté par sa mère Hélis (Alix) de Turenne épouse de Hélie Rudel II seigneur de Bergerac. Le titre de vicomte « en partie » de Turenne s’y est maintenu jusqu’au XVIIe siècle. L’un des enfants de Renaud et Marguerite, prénommé… Pons, chevalier de Saint-Jean-de-Jérusalem, a émigré en Catalogne pendant la Croisade d’Aragon de 1284-1285 et y a fait souche avec une autre famille Pons, d’origine aragonaise et dite de Montclar – du nom d’un fief ayant appartenu aux Rudel de Bergerac ! … -(https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_de_Montclar), qui a elle-même donné un rameau ayant participé à la reconquête de Minorque sur les Maures, en 1287 et qui s’y est fixée. De là est issue l’ensemble de ma propre famille (Ciutadella, puis Mahon et Alayor).
Sur le plan héraldique, les Pons de Saintonge portaient d’argent à la fasce de gueules (et non pas de gueules à trois fasces d’or comme indiqué dans l’article). Lorsqu’ils revendiquèrent une partie de la vicomté de Turenne ils eurent d’abord et tout simplement un écu parti de Pons et de Turenne avant de poser les 12 cotices de Turenne sur la fasce de gueules (devenant d’argent à la fasce coticée d’or et de gueules de 12 pièces) puis de réduire celles-là à un bandé d’or et de gueules de 6 pièces pour obtenir un écu « d’argent à la fasce bandée d’or et de geules de six pièces », armoiries définitives qui figurent dans l’article en question.
Les Pons d’Aragon, aînés, portaient quant à eux « d’or au pont de trois arches de sable », devenu à Minorque « d’azur au pont de trois arches d’argent maçonné de sable » et à Mallorque « de gueules au pont de trois arches d’argent maçonné de sable » qui sont des brisures des armes initiales. C’est un peu long mais passionnant !
Famille Pons
https://www.heraldrysinstitute.com/lang/it/cognomi/Pons/idc/679685/
Hélas, cher ami, l’HERALDRY INSTITUTE est un tissu d’inexactitudes bien connu ! Par exemple, ils mélangent les Pons de Saintonge et du Périgord avec une autre famille dite de Saint-Maurice dont il n’existe aucun lien connu ou en tout cas prouvé. Quant aux armoiries proposées… c’est simplement du délire. Alors, de grâce, oubliez…