L’hiver était froid et ne finissait pas. Le vieux monarque, diminué par la maladie, épuisé par ses excès et frappé jusque dans sa propre famille, avançait à pas lents dans les immenses salons d’un palais devenu trop grand pour lui. Autour de son cou, le lourd collier de la Toison d’or, orgueil de sa race, semblait peser du poids des siècles.
Il était loin, le jeune roi à la tournure impeccable et au sourire gourmand qui avait, à la mort de son tout-puissant mentor, stupéfait une Europe incrédule en saisissant avec une fermeté inattendue les rênes de l’État. On l’avait cru frivole et inconsistant, il se révéla en quelques heures aussi intelligent qu’inflexible. Devant ce soleil levant, les factieux, soldats perdus d’un autre monde et qui se croyaient encore tenus au devoir de révolte, s’étaient inclinés à jamais.
Son règne avait été brillant, le plus brillant peut-être d’une longue dynastie, il avait rétabli et affermi un trône vacillant ; il avait aussi chassé, avec une ardeur de Bourbon, et jusque dans les gynécées, les gibiers les plus rares. La reine, pourtant, ne l’en aimait pas moins ; il lui marquait, en retour, les plus grands égards malgré sa raideur tout espagnole.
Les nuages, peu à peu, s’amoncelèrent sur sa couronne, mais il ne sentit pas venir l’orage, accumula les erreurs. Le royaume autrefois prospère s’enfonça dans la crise, le peuple cria famine, implora puis commença de murmurer contre la Cour avant de gronder contre le monarque. Lui, toujours olympien, continuait à régner et à chasser. Un jour, il fit une chute et ce fut plus brutal encore qu’un coucher de soleil aux confins des anciennes possessions de sa maison. La scène douloureuse à laquelle je fais référence ne se jouait pas au château de Versailles au début de l’année 1714, mais au palais royal de Madrid il y a quelques jours à peine… Le roi d’Espagne affrontait publiquement, malade et diminué, la tempête politique la plus grave que la monarchie ait eu à essuyer depuis le coup d’état néofranquiste de Tejero en 1981. Ce n’était pas la démocratie qui était cette fois en jeu mais la pérennité de la dynastie elle-même.
À trois siècles de distance, le descendant en ligne directe du roi Louis XIV voyait la fin de son long règne aussi enténébrée que le fut celle de son auguste ancêtre, cerné par l’Europe coalisée, endeuillé par les drames familiaux et abandonné par un peuple qui lui vouait pourtant autrefois une véritable adoration. Comparaison n’est jamais raison, surtout en histoire ; pourtant, en découvrant sur une chaîne d’information en continu ces images crépusculaires qui montraient Juan Carlos remplir péniblement ses devoirs de roi, le parallélisme de ces deux vies m’apparaissait comme une évidence.
La fermeté que ces deux monarques de même sang opposaient, par-delà les siècles, à l’adversité qui les accablait au soir de leur existence était d’une incontestable majesté.
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