Une légende du Mont-Saint-Michel
Publié le janvier 4, 2014 par gavroche60
In Straton le Nîmois, Chronique de l’Etrange, Point de Vue 18 fév 1983
Voici une légende pas très connue liée au Mont Saint Michel et à un épisode de la Révolution. La prophétie concernant les rois de France l’est un peu plus. Elle est tirée de la Chronique de l’Etrange, un billet hebdomadaire toujours captivant qui paraissait dans le magazine Point de Vue signé par un pseudonyme aussi étrange que la chronique : Straton le Nîmois.
Au début du Xème siècle, lorsque le mont Tombe fut consacré à Saint Michel, patron de la France par l’évèque d’Avranches, il y avait, au dessus de l’abbaye nouvellement créée, une grande statue de l’Archange, dont l’épée dressée avait l’air de défier les orages et d’écarter les tempêtes. Une vieille prophétie d’un abbé Richard de Toustain annonçait que l’abbaye serait ruinée du jour où l’image de l’Archange serait renversée.
Or, la statue, qui bravait l’ouragan, fut pulvérisée par la foudre pendant l’été de 1788. Un an plus tard, la Révolution commençait, le mont Saint-Michel, « laïcisé » en février 1790, devenait le mont Libre. Et, le 12 octobre 1791, un groupe de sbires conduits par Jacques Fromond, procureur-syndic d’Avranches, venait faire saisie des biens abandonnés par les moines.
Les objets précieux furent d’abord pillés, puis plusieurs cuveaux remplis de tous les ex-voto qui ornaient la chapelle de saint Michel. L’un d’eux contenait les coeurs d’or, d’argent ou de cuivre que les fidèles pèlerins avaient offerts à l’Archange en reconnaissance de grâces obtenues. Le coeur était en effet le plus offert. il était généralement surmonté d’une petite croix ou d’une flamme et entouré d’une couronne d’épines. Souvent creux, il s’ouvrait alors comme un boitier de montre et l’on glissait à l’intérieur un petit morceau de parchemin sur lequel était écrit l’objet du voeur formé ou exaucé.
LE PASSE SURGIT
La rapine terminée, le procureur et un bijoutier se placèrent sur la plate-forme, dite Plomb-du-Four, pour faire l’estimation du trésor. Ils y travaillaient depuis une heure, quand Formond s’arrêta d’écrire. Ses doigts tremblaient. L’expert venait de lui passer un petit coeur de cuivre et s’étonnait :
– Avez-vous froid ? On dirait que vous grelottez.
Le procureur s’était vite ressaisi. Il n’ignorait pas que son compagnon était l’indicateur d’un comité public. Sous un prétexte quelconque, il l’éloigna un moment de la terrasse et examina le petit coeur avec soin. il portait, gravé sur une de ses faces, les lettres J.F., ses propres initiales, et à l’envers une date : 29 septembre 1751. Il l’ouvrit. Sur une minuscule feuille de parchemin étaient écrits ces mots : Claude Fromond et Jeanne Courtois, époux, ont offert ce coeur à l’Archange saint Michel, qui préserva miraculeusement leur enfant, Jacques, victime d’un accident affreux. Que le Prince des milices célestes protège à jamais leur fils chéri.
Toujours trembrant, l’infortuné procureur se souvint que, quarante ans plus tôt, le petit enfant qu’il était avait reçu un terrible coup de pied de cheval. Pendant dix jours, il fut agonisant. Le médecin avait constaté une double fracture du crâne et déclaré qu’un miracle seul pouvait rendre la vie au blessé. Ses parents invoquèrent aussitôt saint Michel, lui vouèrent leur unique enfant et, lorsqu’il guérit, s’en allèrent offrir à l’Archange cet humble ex-voto que le procureur-syndic découvrait soudain parmi tous les coeurs mis au pillage
L’AUTRE PROPHETIE
L’histoire raconte que sa raison sombra brusquement devant ce rappel du passé et que, du haut du Plomb-du-Four, qui surplombait la base du mont de près de trois cent pieds, il se jeta dans le vide, emportant son secret dans la grande tombe de sable et d’eau, qui ne le rendit jamais.
Vingt ans plus tard, vers 1811, un pêcheur de coques trouva, entre le mont et Tombelaine, un petit objet de métal tout oxydé par l’eau de mer. il le vendit pour quelques sous à un habitant du pays. C’était le coeur de cuivre, qui impressionna à tel point le coeur du pillard en lui rappelant son enfance que le malheureux avait préféré expier en se faisant justice.
A cette même époque, on connaissait une prophétie menaçant des plus grands malheurs la postérité du roi qui s’abstiendrait du pèlerinage à Saint-Michel, et cela jusqu’à la troisième génération. Tous les rois, depuis Philippe-Auguste, n’avaient jamais manqué à cette pieuse obligation. Louis XV, le premier, osa s’en dispenser. Or son successeur, Louis XVI, mourut sur l’échafaud. La tragique odyssée de Louis XVII est connue. Le comte de Chambord, du point de vue de l’hérédité royale, représentait la troisième génération….
Il n’y en eut pas une quatrième !
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