L’œuvre du mois. mai 2012. L’épée dite de Jeanne d’Arc, mystères et théories

L’épée ( g. 1) se distingue par de nombreuses inscriptions ( g. 2 et 3). Des deux côtés de la lame, les armoiries de France accostées de celles de la Ville d’Orléans forment un premier registre. Au-dessus, dans un cartouche surmonté de volutes, une figure armée est agenouillée au pied d’une croix, dans les bras de laquelle est passée une couronne.

Cette représentation est accompagnée d’une inscription dans un cartouche vertical à droite, d’un côté : (…) VAVCOVLEV et de l’autre : CHARLE SEPTIESME. Plus haut, la date de 1419 est répétée trois fois d’un côté, deux fois de l’autre.

Une épée du temps de Charles VII

Le lien entre ces inscriptions et Jeanne d’Arc n’avait certes pas échappé au conservateur du musée, Charles Févret de Saint-Mémin *, qui publie pour la première fois l’objet en 1831. Mais l’érudit bourguignon est surtout frappé par la répétition insistante de la date de 1419, qui lui évoque l’assassinat de Jean sans Peur. Désormais désignée dans les catalogues du musée comme une « épée du temps de Charles VII », l’épée ne semble guère, au XIXe siècle, avoir passionné les spécialistes.

Cette épée, dont les inscriptions font à l’évidence allusion à Jeanne d’Arc, a suscité bien des hypothèses. En 2011, sa présentation à l’occasion d’une exposition au musée de Cluny-musée national du Moyen Âge (Paris) a été l’occasion de rappeler les débats autour de cet objet intrigant…

*https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Balthazar_Julien_F%C3%A9vret_de_Saint-Memin

Une épée de Jeanne d’Arc ?

Ce n’est qu’en 1911 qu’Étienne Metman *, reléguant au second plan les dates de 1419, décèle dans les autres gravures un ensemble d’indices convergeant vers la Pucelle, d’autant qu’il voit dans la petite taille de la poignée la preuve qu’elle convenait à la main d’une femme. Parmi toutes les épées utilisées par Jeanne d’Arc, à laquelle pourrait correspondre celle de Dijon ? Ce ne peut être celle que Jeanne d’Arc était allée chercher dans l’église de Sainte- Catherine de Fierbois, puisqu’elle avait cinq croix de chaque côté de la lame. Était-ce alors celle offerte par Robert de Vaucouleurs lors du départ de Jeanne pour Chinon, celle donnée par Charles VII après son sacre, celle remise par la Ville d’Orléans après sa délivrance ? Passant des questions aux affirmations, Metman penchait pour une arme offerte par Charles VII, que Jeanne aurait portée à Compiègne lorsqu’elle fut prise par les Bourguignons. L’épée étant remise au duc de Bourgogne Philippe le Bon, celui-ci y aurait fait graver la date de l’assassinat de son père. Ainsi cette épée aurait-elle été conservée depuis à Dijon.

  • Voir  sur l’oeuvre d’Etienne Metman à Dijon.                                                        http://nadine-emmanuel.clause.pagesperso orange.fr/famille/emetman/index.html#epee

Un jour, en 1911, il me fit part d’une singulière suggestion qui lui venait d’un père Jésuite malade, et qui occupait ces loisirs forcés à feuilleter les anciens Mémoires de l’Académie de Dijon. Ce religieux avait été frappé de la description qu’on y faisait, en 1831, d’une épée mystérieuse placée dans une vitrine du musée de Dijon et portant sur sa lame de curieuses gravures. D’un côté, deux écus juxtaposés, l’un aux armes de France, l’autre aux armes de la Ville d’Orléans. Plus haut, une croix monumentale, devant laquelle un personnage de profil est agenouillé, et derrière lui, l’inscription Charles septième, la même composition se répète à peu près sur l’autre face de la lame, mais c’est l’inscription Vaucouleurs qui est placée derrière le personnage agenouillé très effacé, et qui pourrait être une femme, La date de 1419 est gravée cinq fois d’une manière adventice rappelant ainsi l’année du meurtre de Jean sans Peur qui provoqua, par représailles, l’alliance de Philippe le Bon avec les Anglais contre le roi de France.

Ces indications, fort troublantes en vérité autorisaient l’hypothèse qu’on se trouvait en présence d’une épée de Jeanne d’Arc. J’engageai vivement M, Metman à rédiger un exposé de la question que la Revue de Bourgogne se chargerait de publier avec illustrations à l’appui.

Il écrivit son article avec la netteté la précision et la prudence qui lui étaient habituelles, et cet article eut un grand retentissement. La Presse de France, de l’étranger et même d’Amérique s’en occupa. Les critiques s’en mêlèrent, une volumineuse correspondance fut échangée. J’eus moi-même à coordonner toutes les opinions qui se manifestèrent et qui, somme toute, laissèrent la question pendante, Mais il n’en est pas moins vrai qu’on doit à M. Metman de l’avoir mise au point de l’avoir fait connaître.

L’avis des spécialistes des armes anciennes

Les examens par des spécialistes des armes anciennes, en dernier lieu par Fabrice Cognot, invitent toutefois à une approche plus critique, du fait de l’aspect composite de l’objet. La lame est formée de deux parties soudées datant effectivement du début du XVe siècle, mais dont la longueur totale est trop importante pour une arme à une main de ce type et de cette époque. La garde en S, la poignée filigranée et le pommeau ne sont ni cohérents, ni fonctionnels, et semblent provenir d’autres armes, postérieures.

En 1962 encore, alors que l’épée est prêtée à Orléans, au centre Charles Péguy, pour une exposition Péguy et Jeanne d’Arc dont l’ouverture coïncidait avec les Fêtes johanniques du 8 mai, le Courrier d’Orléans publiait une courte note, pour donner quatre arguments en faveur de l’authenticité de la lame.

La fin d’un mythe ?

Alors que le 600e anniversaire de la date présumée de sa naissance a à nouveau attiré l’attention sur l’héroïne, on peut replacer l’évolution des opinions exprimées sur cet objet dans la perspective des études menées depuis quelques décennies sur les lectures historiques et mythographiques de Jeanne d’Arc. A Dijon, on ne semble plus guère y croire, même si l’épée reparaît de temps en temps dans la presse locale qui se plaît à en souligner le « mystère » ou à évoquer « une belle légende ».

Pour en savoir plus :

L’épée. Usages, mythes et symboles. Paris, musée de Cluny-musée national du Moyen Âge, 2011, n° 44

Contamine (Philippe), Bouzy (Olivier), Hélary (Xavier), Jeanne d’Arc, Histoire et dictionnaire, Paris, 2012

                                                 LES ILLUSTRATIONS DE CET ARTICLE

1. France, n du XVe et XVIe, modi cations au XIXe siècle, Epée dite de Jeanne d’Arc, acier gravé, longueur : 0,95 m

2. Détail des inscriptions

3. Relevé des inscriptions

4. Exemple d’épée à garde en S dans la tapisserie du Siège de Dijon par les Suisses en 1513

5. Le Monument du Pont d’Orléans, gravure de Léon Gauthier, 1613. Médiathèque d’Orléans © tous droits réservés

https://beaux-arts.dijon.fr/sites/default/files/Collections/Renaissance/lepee_dite_de_jeanne_darc.pdf

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Les archives du musée ont permis d’établir que l’épée a été fortement restaurée en 1832. Peut-être est- ce à ce moment que sa garde a été tordue en S, ce qui pourrait avoir été inspiré par la tapisserie du Siège de Dijon par les Suisses ( g. 4).

Les comptes du musée ont aussi confirmé que l’épée a été achetée en 1826 au marchand Bertholomey, sans aucune information sur sa provenance.

Une épée commémorative en pleines guerres de religion (2e moitié du XVIe siècle).

Il est plausible de reconnaître dans cet objet, comme cela a été proposé dès les années 1930 par La Martinière, un témoignage du culte porté à Jeanne à Orléans et par les Guise, à l’époque de la Ligue. Le combat de Jeanne contre les Anglais est alors comparé à celui des catholiques contre les protestants. Sur la lame, le personnage agenouillé devant une croix évoque le monument édifié sur le pont d’Orléans au début du XVIe siècle ( g. 5). L’épée aurait servi dans des cérémonies évoquant la Pucelle et aurait pu être offerte à Charles de Guise en 1591. On relève dans un inventaire après-décès de ce prince en 1641 la mention de deux « vieilles espées à l’antique, dont l’une dorée, où est gravée : Jehanne de Vaucouleurs, pucelle d’Orléans ».

À la recherche d’une relique de Jeanne d’Arc

Il est frappant de constater que l’hypothèse d’appartenance de cette épée à Jeanne est formulée deux ans après sa béatication (1909), alors que la perspective de la canonisation, effective en 1920, ouvrait la recherche de reliques. Phénomène rare, à notre connaissance, pour une pièce de musée, l’épée a même fait l’objet, en 1934, d’une opération d’identi cation par des méthodes paranormales : une radiesthésiste a placé un pendule au- dessus d’une photographie de la signature d’une lettre de Jeanne adressée aux habitants de Reims en 1430, puis au-dessus de l’épée. Le pendule ayant « répondu par une giration directe (positive) » à cette expérience, l’épée était donc authentfiiée… Plus étonnant encore, le musée a reçu, la même année, une demande de prêt de la « précieuse relique » à Saint-Denys-de-la-Chapelle, pour qu’elle y soit vénérée, voire qu’un pèlerinage soit organisé !

Origine de l’article. https://beaux-arts.dijon.fr/sites/default/files/Collections/Renaissance/lepee_dite_de_jeanne_darc.pdf

Pour en  savoir plus :

http://mba-collections.dijon.fr/ow4/mba/voir.xsp?id=00101-33300&qid=sdx_q0&n=1&e=

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