Le Président Macron a encore frappé. Chassé par la porte, le tirage au sort de »citoyens » est rentré par la fenêtre.

«Le tirage au sort de 35 citoyens aggrave, plus qu’il ne résout, la crise de démocratie»

FIGARO VOX/TRIBUNE – 35 Français seront tirés au sort ce lundi afin de se prononcer sur la stratégie vaccinale du gouvernement. Selon Maxime Tandonnet, le recours au tirage au sort est dans le meilleur des cas un simple artifice de communication, mais pourrait bien cacher une vision nihiliste qui efface le mérite et la compétence.

Fin observateur de la vie politique française et contributeur régulier du FigaroVox, Maxime Tandonnet a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019).


Le recours au tirage au sort, destiné à désigner des citoyens chargés d’une mission d’intérêt public, est entré dans les habitudes du «nouveau monde». Comme l’avait annoncé le président de la République le 24 novembre, 35 Français vont être tirés au sort pour former un «collectif de citoyens», «représentant tous les territoires», chargé de «se prononcer sur la stratégie vaccinale en France». Cette initiative fait suite à «la Convention citoyenne sur le climat», composée de 150 citoyens, sélectionnés au hasard pour «représenter pleinement la société dans toute sa diversité et sa vitalité» qui a récemment rendu ses propositions.

Ce recours au tirage au sort à des fins de représentation politique représente une innovation majeure dans les sociétés modernes. Elle renvoie de toute évidence à une image traditionnelle dans l’antiquité grecque et plus particulièrement la cité athénienne où les places de magistrats ou les fonctions dirigeantes pouvaient être attribuées par tirage au sort. «C’est pourquoi il est nécessaire d’utiliser l’égalité du tirage au sort pour éviter l’hostilité du grand nombre, en demandant quant à nous à la divinité et à la bonne fortune, dans ce cas aussi, de redresser le sort dans le sens de la plus haute justice» écrit Platon dans les Lois (livre VI).

Ce grand bond en arrière dans le temps de 2500 ans constitue un camouflet pour la démocratie au sens actuel du terme: la loi du suffrage universel et la règle de la prédominance de la majorité, face à laquelle la minorité accepte de s’incliner, autrement dit, le principe de la «volonté générale» défini par Jean-Jacques Rousseau. Il balaye la célèbre maxime de Winston Churchill selon laquelle «la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres».

Quant à la démocratie directe, les gouvernements s’en méfient comme de la peste depuis la victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne en 2005

Le choix du tirage au sort, désormais entré dans les mœurs, semble entériner le constat de la crise de la démocratie. L’Assemblée nationale, creuset de la démocratie libérale française depuis la Révolution de 1789, socle de la République depuis 1871, en tant qu’incarnation de la nation élue au suffrage universel, se réduit désormais pour l’essentiel à n’être qu’une chambre d’enregistrement voire une annexe du pouvoir élyséen depuis l’alignement du mandat des parlementaires sur celui du chef de l’État. Quant à la démocratie directe, les gouvernements s’en méfient comme de la peste depuis la victoire du «non» au référendum sur la Constitution européenne en 2005.

Le recours au tirage au sort, comme ersatz de démocratie, est révélateur de l’évolution de la société française. Il enterre la notion de peuple, entité collective en charge de définir son destin par le vote populaire. Il lui substitue un assemblage de citoyens non élus, mais désignés par le hasard, donc ne représentant qu’eux-mêmes. Il traduit ainsi, sur le plan de la vie publique, l’hyper-individualisme et le repli narcissique d’une société. Comme le souligne Platon, il donne des gages au nivellement par l’égalitarisme: face au sort, tout le monde est sur un pied d’égalité. En affaiblissant la notion de volonté générale et de majorité, il conforte la tentation autocratique: le prince n’a en face de lui qu’un aréopage d’individus isolés et non un peuple ou une nation.

La faiblesse de ce mode de désignation est son absence intrinsèque de toute légitimité ou de justification dans le monde moderne. Dans la Grèce antique, le recours au tirage au sort se fondait sur la croyance dans la toute-puissance des divinités: à travers l’apparence du hasard, comme le rappelle Platon, les dieux de la cité choisissaient les meilleurs. Dans des sociétés politiques privées de dieux ou d’un Dieu, le recours au hasard n’a aucun sens.

Les citoyens, ainsi désignés par le sort, échappent à la règle fondamentale du mérite consacrée par la déclaration de 1789. Leur sélection n’est donc que le fruit du néant. Le tirage au sort ne récompense pas l’intelligence, ni le talent, ni la compétence. Ce mode de désignation est celui d’une société nihiliste. Il aggrave plus qu’il ne résout la crise de démocratie et se présente comme une opération de communication destinée à couvrir la tragédie et les échecs d’une époque.

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