Voici un long mais bel article de l’ami de la Charte de Fontevrault. Pascal Gambirasio d’Asseux.
I . Préambule
La laïcité, conception spécifiquement chrétienne et française, (re)devient un élément-clef et sensible au sein de la société de notre pays dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle se trouve durablement bouleversée par des crises et des tensions multiples dont celle engendrée par la prégnance démographique de populations exogènes, par tradition parfaitement étrangères (c’est le cas de le dire) et même opposées voire hostiles à cette séparation entre le spirituel et le temporel.
Un petit rappel sémantique : au sein de la tradition chrétienne, le laïcat ou état du laïc est celui de tout chrétien qui n’appartient pas au clergé (régulier ou séculier). C’est dire si ce mot ne signifie rien d’autre que la non-appartenance à l’état clérical et certainement pas l’absence de profession de foi chrétienne. Ceci semble connu, mais il nous est apparu nécessaire de le rappeler, à toutes fins utiles. Pourquoi, ces quelques mots sur ce sujet, déjà amplement analysé et débattu ?
Parce qu’il il y a quelques temps, dans le cadre d’une émission de télévision, un échange sur la laïcité française partageait le constat que, si ce concept fut développé (avec vigueur et souvent brutalité) par la Troisième République, au vrai elle fut d’abord la création et la pratique des rois de France, rois Très Chrétiens, bien sûr, mais désireux de s’émanciper de la tutelle séculière de l’Eglise, plus précisément du Saint-Siège et des grands prélats.
Rien de scandaleux ni même de nouveau en cela, puisque ces rois ne faisaient qu’appliquer ces paroles du Christ :
« Alors il leur dit: Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »( 1 ) « Mon royaume n’est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré aux Juifs; mais maintenant mon royaume n’est point d’ici-bas. » (2).
En ces paroles du Seigneur, s’origine l’une des spécificités du christianisme, donc la canonicité de la laïcité en son sein comme elles révèlent, pour qui est de bonne foi (sans jeu de mots), la nature authentique de celle-ci, radicalement distincte de l’athéisme ou de l’anticléricalisme auxquels d’ailleurs elle s’oppose en son application saine et première. Aussi, le discours actant une continuité entre la laïcité de la France capétienne et celle de la République française souffre, à notre sens d’une erreur fondamentale en ce qu’elle ne distingue pas combien leurs natures sont foncièrement différentes, au vrai parfaitement opposées dans l’esprit et donc aussi dans leur application.
1 Mt XXII, 21 ; Mc XII, 17 ; Lc XX, 25
2 Jn XVIII, 36
II. Laïcité et foi chrétienne au royaume de France
Durant les siècles capétiens, cette laïcité fut entendue conformément à sa nature authentique, sans dévoiement politique ou idéologique. C’est la seule, en vérité, qui mérite ce nom et dont le contenu conceptuel n’aurait jamais dû être altéré, dénaturé par la République française.
On peut dire, en manière de synthèse, qu’il s’agit de l’application du principe posé par Jésus lui-même, traçant une de ligne de partage claire entre le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle, sans toutefois que la seconde soit entravée d’inspirer le premier, bien au contraire.
C’est ainsi que s’est toujours entendue la laïcité des rois de France, la laïcité au royaume de France. Le roi est maître en ses Etats et ne relève dans son gouvernement que de Dieu, mais il est simultanément, et sans aucun paradoxe ni contradiction, le roi Très Chrétien, qualifié également de Lieutenant du Christ et même d’évêque du dehors. Le pape n’est au-dessus du roi que dans le domaine spirituel. En contrepartie évidente, le roi ne doit pas tenter de capter, de quelque manière, l’autorité spirituelle et la soumettre à son pouvoir temporel (césaropapisme).
Il est patent de constater que cette laïcité dans la conduite du gouvernement du royaume ne s’oppose en rien à l’expression de la foi chrétienne dans tout l’espace public, dans l’ensemble de la société, le roi assurant d’ailleurs officiellement la protection de la sainte Eglise et tout y résonne, non de ce vide laïc républicain, par essence stérile et vulnérable, qui sonne forcément « creux », mais de cette laïcité pleine de vie spirituelle : cloches, processions, calvaires, ostensions publiques…Ce « plein » fait barrage aux influences délétères qui tentent toujours d’envahir le corps social afin de le nécroser. Plus tard dans notre Histoire certains dénonceront avec aversion ce qu’ils qualifieront de « religion d’Etat », mais en évinçant ce point essentiel : un Etat peut-il vivre sans âme ? Et la vie de l’âme, c’est la foi.
Ainsi, le principe de non-ingérence des hommes d’Eglise ou directement du Saint-Siège dans le gouvernement du royaume, que les historiens ont appelé gallicanisme, constitue la laïcité première, au sens principiel comme chronologique. Cependant, nulle trace en elle d’un quelconque combat idéologique contre le christianisme appuyé sur la restriction de son expression sociale qui sera la marque de fabrique de celle inventée par la Troisième République.
III- Laïcité républicaine
La laïcité républicaine, stricto sensu, s’étend de la Troisième République (1870) aux années qui suivent les événements de mai 1968. C’est le constat que l’on peut faire, indemne de toute polémique. Elle trouve son expression majeure avec la loi de 1905 dite de séparation des Eglises et de l’Etat, présentée comme un symbole d’apaisement et de concession de la République française envers la spiritualité en général et le catholicisme en particulier.
Cette laïcité semble satisfaisante, respectant avec un apparent équilibre le droit de croire ou de ne pas croire, pour autant que ces options (mais dans les faits, on vise surtout celle du croyant) se confine à la sphère privée tout en permettant à chacun de se rencontrer dans l’espace social public, rendu neutre (neutralisé, faudrait-il plutôt écrire ?) et donc a priori structurellement apaisé ; du moins en ce qui concerne l’aspect religieux car les combats politiques, situés par nature au cœur de l’espace public, y génèrent des fractures pérennes qui sont, en revanche, parfaitement admises par le régime républicain comme l’expression naturelle du « jeu démocratique », quoique impudemment faussé par l’argent et nombre de médias.
Toutefois, il s’agit en réalité d’une laïcité de combat, pas uniquement séculier mais matérialiste et athée : une machine de guerre, non limitée à son action anticléricale telle qu’on la présente ou la réduit généralement – ce qui serait déjà révélateur de son but réel car, en s’attaquant au clergé, on vise à éradiquer la foi – mais bien foncièrement antichrétienne, surtout anticatholique. De toute autre nature, on le voit, que la laïcité de la France capétienne.
Si le nom demeure, le sens et l’action changent radicalement : c’est en cela que nous la qualifions de dénaturée par rapport à son sens littéral. La vie sociale doit donc être vide, vidée de toute référence spirituelle, de tout signe de la transcendance, la croix du Christ doit s’effacer devant le buste de Marianne ; ce « vide spirituel » est consacré panacée du « vivre ensemble », selon l’expression ( creuse (elle, assurément !) dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années.
Or, une question de fond tenant à la nature même de l’homme s’impose à nous d’emblée: le vide, a fortiori spirituel (nous disons bien spirituel et non intellectuel, philosophique) constitue-t-il la plus pertinente des fondations et le ciment le plus efficient de cette vie communautaire que l’on appelle une société humaine, laquelle est bien plus qu’un ensemble de vies entrecroisés ou d’intérêts parfois communs, souvent opposés, mais une patrie, une histoire partagée, connue, aimée avec ses grandeurs et ses faiblesses, ses heurs et ses malheurs. Une patrie dont le cœur est chrétien depuis mille cinq cents ans, centre vital de sa civilisation, de sa construction, de ses multiples renaissances à la suite des époques dramatiques qui ont jalonné son Histoire.
Oui, et ce n’est en rien contraire au principe capétien de laïcité, la spiritualité, la foi, quelle que soit la confession sous laquelle elle se manifeste, parce qu’elle est ontologiquement inscrite au cœur de l’homme, n’en déplaise aux matérialistes marxistes ou post-modernes selon l’expression à la mode, est un état naturel de sa vie, individuelle et collective, personnelle et sociétale. Il en a été toujours ainsi, à travers l’Histoire de l’humanité, sous quelque forme que cette spiritualité s’exprime. Un vide spirituel, quel que soit le nom dont on l’aurait appelé, ne se concevait tout simplement pas et ne s’est jamais inventé que dans une Europe en partie déchristianisée.
Au demeurant, n’est-ce pas la communion qui fonde et caractérise la religion chrétienne : chaque homme avec le Seigneur par la sainte eucharistie et donc, par immédiate conséquence, entre chaque chrétien, en Christ, unit à ses frères et sœurs…Communion des saints d’ici-bas avec ceux du Ciel aussi. On le voit, la laïcité de France, Terre chrétienne, n’est pas l’exclusion de la foi et de ses modes d’expression hors du corps social – car celui-ci vit, lui aussi, de cette même foi et de sa célébration – ni leur réclusion forcée dans un espace privé d’où l’on espère bien, quelque jour, parvenir aussi à les arracher définitivement.
Il se trouve que l’athéisme qui prend le masque de la laïcité crée ce vide que nous évoquions, et dans celui-ci s’engouffrent toutes sortes de mouvements, religieux pour certains, mais exogènes à l’âme et la culture de la France et des Français, ainsi que de multiples autres, protéiformes et souvent sectaires.
Autrefois, la laïcité authentique du royaume de France, si elle se fondait sur les paroles du Christ que nous avons citées, ne créait pas ce vide spirituel mais au contraire y professait la foi chrétienne et en appliquait les exigences au plan du gouvernement du royaume et de la vie sociale selon une modalité que, plus tard, on qualifiera de doctrine sociale de l’Eglise (3) . A l’évidence, il n’était donc pas possible pour une quelconque autre foi, invasive par nature ou par tentation, de pénétrer un espace aussi «plein », aussi résonnant de la présence du Christ.
(3) Elle est généralement associée à la parution en 1891de l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII, bien que la dénomination entendue dans son sens actuel fut utilisée par le pape Pie XI, dans son encyclique Quadragesimo Anno parue en 1931.
A défaut et comme la nature, y compris la nature sociale, a horreur du vide, celui créé par la laïcité républicaine, en réalité un athéisme à peine dissimulé, est bien vite comblé par toutes sortes d’ersatz, du plus puéril au plus mortifère, ou bien encore, l’actualité nous en offre quotidiennement des exemples, par une radicalisation du prosélytisme islamique dont on sait qu’il n’est pas seulement une religion mais un corpus global (la charia, régissant, outre le spirituel, tous les domaines de la société humaine) qui, s’il a sa légitimité pour ceux qui vivent dans ses pays d’origine, est le parfait opposé de la laïcité française, de quelque manière qu’on la conçoive, bien que celle « post-soixante-huitarde » (que nous évoquons en quatrième partie) lui offre désormais l’opportunité de combler ce vide.
Revenons à la laïcité républicaine d’origine : il faut savoir en décrypter la vraie nature, le but véritable quand bien même certains la professent sans arrière- pensées hostiles. En sa réalité intime, cette manière de concevoir la laïcité (le vide spirituel de l’espace public) porte en soi, tel un ADN, la marque d’un athéisme de fond et décomplexé, parfois violent comme en témoigne notamment l’expropriation des Congrégations à la suite du vote de la loi de 1905 précitée, athéisme dont la finalité est de devenir la seule raison commune du genre humain. C’est en cela qu’elle s’oppose à la laïcité des rois de France telle que nous l’avons exposée et bien des incompréhensions naissent de l’ignorance de la plupart de nos contemporains sur ce point pourtant essentiel.
Qu’exige au vrai cette laïcité républicaine ? Toute spiritualité, mais d’abord celle qui prédominait à l’époque – et prédomine encore en France – le catholicisme, n’a plus droit de cité dans l’espace public et se trouve confinée dans la sphère privée, autrement dit doit disparaître des « écrans radar » de la société, de l’Etat.
En application de cette philosophie (4 ) (dont bon nombre se félicitent, comme directement issue des fameuses Lumières de la fin du XVIIIème siècle), les crucifix, depuis longtemps déjà, ont été supprimés des écoles publiques ainsi que des prétoires dans les cours et les tribunaux et l’acharnement anti-chrétien et surtout anticatholique se manifeste aujourd’hui par la vindicte de certaines associations contre les crèches dans les mairies, voire les sapins de Noël placés devant leur façade, et dont on peut penser qu’il s’agit d’une sorte de réflexe de survie spirituelle autant que culturelle face à cette hystérie partisane pour arracher tout référence à mille cinq cents ans de christianisme. Certains pétitionnent même pour que l’on enlève les calvaires historiques à la croisée des routes, refonder le calendrier portant les noms des saints, supprimer les fêtes chrétiennes ou, à tout le moins, les jours fériés qui les accompagnent…
( 4 ) En fait, il faudrait dire cette profession de foi inversée.
Les bulletins météorologiques des médias, en particulier ceux de la télévision, s’ils évoquent encore timidement les fêtes à souhaiter (trop de prénoms chrétiens sans doute !), se gardent bien désormais de prononcer le mot de saint, à peine de risquer une remontrance des autorités de contrôle de l’Audio-visuel et déclencher la vindicte d’associations gardiennes de la doxa médiatico-politique. Curieuse Inquisition à leur tour menée par ceux-là mêmes qui se plaisent à conspuer constamment celle instituée par l’Eglise, tout en occultant le but et contexte juridico-historique dans lequel elle fut créée (cela dit sans justifier le moins du monde les excès qu’elle a malheureusement souvent engendrés)
Et ce ne sont là que des exemples parmi d’autres. En réalité, on « athéise » à marche forcée l’espace public de tous afin de mieux déraciner la foi chrétienne dans l’espace privé de chacun. A cette fin, l’école publique (l’Education nationale) est un agent d’exécution de première importance ; un fer de lance depuis les fameux « hussards noirs de la République » (les instituteurs) (5) .
On le voit, cette laïcité présentée comme une pure continuité de celle de la France capétienne et chrétienne (plus précisément catholique) n’est en réalité qu’un athéisme (à peine) dissimulé et militant, doublé d’une fausse bonne idée sur la prétendue neutralité de l’espace public fondée sur le principe de son vide spirituel comme condition première à la cohésion du corps social
(5 ) Qualificatif, que l’on doit à Charles Péguy, donné aux instituteurs de l’Ecole publique durant la IIIème République après le vote des lois scolaires dites « lois Jules Ferry » de 1881 et 1882. Encore faut-il leur rendre cette justice, si l’on excepte cet antichristianisme pour les uns, cet anticléricalisme (à peine) plus nuancé pour les autres, qu’ils ont assuré un enseignement de qualité, que les idéologues modernes de l’Education nationale seraient bien inspirés de reprendre à leur compte afin de permettre aux enseignants d’aujourd’hui de suivre les traces pédagogiques de leurs anciens (et beaucoup le souhaitent ardemment). Nous disons bien pédagogiques, nous ne parlons pas de l’ostracisme au regard de la spiritualité.
IV- Laïcité et doxa individualiste contemporaine
Illustrant cet effet pervers du vide, une nouvelle conception de la laïcité est professée par des courants de la Gauche et des Partis écologiques depuis les années post mai soixante-huit: une conception «à l’anglo-saxonne», plus précisément nord-américaine, laquelle est tout sauf de la laïcité puisque, culturellement et historiquement, les anglo-saxons ne connaissent pas ce concept.
De manière plus précise, cette conception nouvelle, diffusée à travers l’usage trompeur d’un terme inchangé, n’est autre qu’un effet induit de la doxa portée par ces mêmes courants et Partis, soutenus par la quasi-totalité des médias, laquelle affirme le primat de l’individu ou de l’association d’individus sur la société et le Bien Commun (le Bonum Commune, notamment développé par saint Thomas d’Aquin), plaçant, en corollaire, les opinions au-dessus des principes. Or, une société n’est pas fondée sur des opinions, qui divisent mais sur des principes, qui fédèrent, et ne se réduit pas à ouvrir le droit à des services mais exige d’abord, ce qui est un honneur, le devoir de servir.
Ainsi, ce souverain individualisme a droit de cité pour faire valoir ses différences et revendications, y compris religieuses, dans l’espace public ; avec cette restriction notable que ce droit est, au contraire, presque toujours refusé aux chrétiens, particulièrement aux catholiques, comme sous la plus laïcarde des républiques d’antan. Deux poids, deux mesures : le combat anti-chrétien se poursuit, même dans notre société permissive; surtout dans notre société permissive !
On comprend aisément quel parti certains groupes, en particulier les radicaux islamiques, tirent de cette doxa à la considération sélective en occupant, par son biais, le domaine public de leurs revendications incessantes. Cette conception proprement aberrante porte en soi, sans qu’elle semble s’en inquiéter le moins du monde, les germes de sa propre destruction, ce qui ne serait pas un mal, mais qui entraînera avec elle les sociétés où elle aura prévalu.
Pascal Gambirasio d’Asseux