Jean-Yves Pons. Approche de l’héraldique ou art du blason (4).

Chronique d’héraldique n° 4

Nous devons à présent évoquer quelques principes de la composition des armoiries sans revenir sur la règle des émaux ni sur la disposition des figures principales sur le champ de l’écu, qui ont déjà été exposées.

1/ La composition des figures.

    Au début de l’histoire des armoiries, la plupart des écus ne comportaient qu’une figure (seule ou répétée) sur le champ. Assez tôt cependant, il apparut intéressant ou nécessaire d’associer plusieurs figures de nature différente dans un même écu. La plupart du temps on associait une pièce géométrique et des meubles. Les termes employés alors peuvent être les suivants :

* accompagné(e) exprime qu’une figure principale est entourée de figures secondaires. On peut alors préciser: accompagné(e) en chef (surmonté-e- ou sommé-e-), en pointe, à dextre (adextré-e-), à senestre (senestré-e-) ou même accosté-e- (accompagné-e- simultanément à dextre et à senestre). Dans le cas particulier de la croix (ou du sautoir) accompagnée de meubles placés entre les bras, on a coutume de dire cantonnée (puisque les meubles sont placés dans les cantons);

* chargé(e) signifie que la ou une figure porte une ou d’autres figure(s);

* accompagné(e) et chargé(e) est l’expression qui dit l’association des deux types précédents de combinaison;

* enfin, brochant qualifie une figure posée sur une ou plusieurs autres figures qu’elle masque donc partiellement.

Armoiries de La Rochefoucauld : Burelé d’argent et d’azur, à trois chevrons de gueules, brochant sur le burelé, le premier chevron écimé.

2/ La combinaison des armoiries.

Elle résulte du désir de montrer ses alliances (le plus souvent entre deux époux mais aussi d’autres alliances familiales) ou ses diverses possessions territoriales. Cette combinaison est nommée armoiries composées par opposition à des  armoiries simple (dans laquelle n’apparaît que celle du possesseur ou de sa famille). On peut combiner des armoiries de plusieurs façons:

* soit, tout simplement, en accolant deux écus et, dans ce cas, celui qui est le plus prestigieux, dont on souhaite honorer le possesseur ou bien encore le plus ancien, sera placé à dextre alors que l’autre sera mis à senestre. Dans le cas de deux époux on a coutume, sauf cas particulier, de disposer celui du mari à dextre et celui de l’épouse à senestre;

* soit en les réunissant en un seul écu. La méthode de combinaison la plus ancienne est alors le mi-parti qui associe la moitié dextre d’une armoirie à la moitié senestre d’une autre. Mais le mi-parti est devenu rare car son principe rend la lecture de la combinaison souvent difficile, surtout avec la multiplication des figures au cours du temps (à noter cependant une très belle exception: les armoiries intelligemment combinées de Jean II de Bourbon et de sa femme Jeanne de Valois, telles qu’on peut les voir sur le magnifique Livre d’Heures de Jeanne, que l’on peut consulter sur le site de la BNF) :

    Armes de Jeanne de France dans les Heures de Jeanne de France (BnF NAL 3244 f252r) :                                                                                                                                Mi-parti de Bourbon et de France.

        On lui a rapidement préféré le parti (deux armoiries intégrales séparées par un trait vertical sur le même écu), le coupé (deux armoiries séparées par un trait horizontal) et surtout l’écartelé (quatre surfaces du champ séparées par le croisement d’un trait vertical et d’un trait horizontal -combinaison donc du parti et du coupé- ou deux traits obliques et l’on précise alors écartelé en sautoir). Dans les deux premiers cas les armoiries les plus honorables sont placées à dextre pour le parti et en chef pour le coupé. Dans le cas de l’écartelé, plus riche de possibilités, on peut combiner de deux à quatre armoiries et l’honorabilité se décline du premier au quatrième quartier numération de dextre à senestre et de haut en bas). Mais il est toujours possible, dans ces trois types de partitions, de faire figurer des armes particulièrement prestigieuses sur un petit écusson posé en coeur (au centre de l’écu principal) et dit sur le tout. Enfin, il faut préciser qu’au-delà de quatre quartiers les divisions de l’écu sont augmentées (sans dénomination particulière) par un nombre variable de traits de parti ou de coupé. Par exemple, un écu parti de deux traits et coupé de deux comportera 9 quartiers; parti de deux et coupé de trois traits, il comportera 12 quartiers, etc. L’héraldique britannique recèle quelques exemples édifiants de combinaisons complexes et de partitions: les grandes armes de la reine Victoria pouvaient ainsi comporter 256 quartiers, le record du monde appartenant à la famille galloise des Lloyd of Stockton avec 323 quartiers ! Parmi les dynastes français, les armoiries les plus compliquées (en rapport avec une histoire qui ne l’est pas moins) sont celles des rois des Deux-Siciles de la maison de Bourbon avec 24 quartiers, dont certains sont répétés à deux reprises :

              Maison royale de Bourbon-Deux Siciles

           Au 1, d’azur semé de fleur de lys d’or (France ancien) au lambel de gueules (roi de Sicile d’Anjou) au 2, de Castille parti de Léon, au 3, d’Aragon et des rois de Sicile d’Aragon, au 4, d’or à six fleurs de lys d’azur rangées en pal qui est Farnèse, au 5, d’argent à la croix de Jérusalem d’or, au 6, d’or à six besants de gueules et un écu de France qui est Médicis, le tout sur un écu de France à la bordure de gueules qui est Bourbon-Anjou

3/ Modifications des armoiries.

      Si l’on excepte les modifications résultant d’un changement total d’armoiries par le possesseur (situation plus fréquente qu’on le croit habituellement et surtout dans les premiers temps de l’héraldique, pour des raisons variées – changement de goût, conflit familial ou politique, relèvement d’armoiries d’une autre famille ou d’un autre territoire, etc.-), il s’agit alors de ce que l’on nomme les brisures.

        La brisure est une modification apportée aux  armoirie initiales par une personne qui, n’étant pas chef de famille et donc d’arme, n’a pas le droit de porter ces armes pleines (armes pleines = armoiries du chef de nom et d’arme, qui ne comportent aucune brisure). Cette notion de brisure est apparue avec la fixation des armoiries au sein des lignages et donc avec leur caractère héréditaire. Les brisures permettaient aux combattants mais aussi aux hérauts et autres rois d’armes dans les tournois d’identifier rapidement un individu en le situant dans son lignage. Mais de ce fait même les brisures ont fini par apparaître comme dévalorisantes aux yeux de ceux qui les utilisaient. De sorte qu’avec la diminution progressive de l’usage des armoiries sur les champs de bataille ce système perdit de son utilité (à défaut de perdre sa signification généalogique et sociale) et vit son usage délaissé. A quelques exceptions près, on peut dire aujourd’hui que seules les familles princières ou richement titrées ont maintenu en leur sein l’usage des brisures. Nous avons déjà abordé cette question à propos des branches cadettes de la maison de Bourbon.

       Les modes de brisure ont varié au cours du temps sans qu’aucune règle précise et encore moins contraignante, sauf l’usage, ne leur soit appliquée. Les trois principaux furent les changements de couleur, la modification des figures ou l’ajout d’une figure aux armes pleines. En ce qui concerne les couleurs, il s’agit le plus souvent d’une inversion des émaux du champ et des figures; cependant, le changement d’un seul émail est déjà une brisure (exemple: un chef d’arme portant un écu « d’or au lion de gueules », il était possible de briser en prenant « d’argent ou d’hermine au lion de gueules » mais aussi « de gueules au lion d’or »).

        La modification des figures peut s’avérer plus riche puisqu’elle peut porter sur l’augmentation ou la diminution du nombre, le changement de position voire de forme d’une figure, mais aussi le remplacement d’une figure par une autre. A partir du XIII ème siècle, l’addition d’une figure aux armes pleines fut sans doute le cas le plus fréquent. Ainsi voit-on utilisés plus que d’autres le lambel, la cotice, le bâton, le franc-quartier, la bordure et quelques petits meubles tels la merlette, l’étoile, l’annelet, etc. A titre d’exemple intéressant nous pouvons citer le franc-quartier de Charles Mauclerc, de la maison de Dreux,qui portait un échiqueté d’or et d’azur à la bordure de gueules (brisure de la famille capétienne de Vermandois) au franc-quartier d’hermine (brisure de cadet des Dreux). Devenu duc de Bretagne et fondateur d’une nouvelle dynastie en ce duché, il fut à l’origine des armoiries définitives de celui-ci lorsque ses descendants reprirent le franc-quartier pour en faire un écu d’hermine plein (armoiries actuelles de la Bretagne).

Maison de Dreux-Bretagne

       Mais, comme nous l’avons déjà dit, en France chacun est libre d’user des armoiries de son choix y compris d’en changer au gré de sa volonté ou de ses caprices à la seule condition de ne pas usurper celle d’autrui. Les circonstances et les modalités d’un changement d’armoirie sont donc illimitées et concernent toutes les couches de la société. C’est ainsi que l’on a parfois la surprise d’observer des modifications variées, voire radicales, de génération en génération, au sein d’une même famille (ce qui rend difficiles les identifications). Cette instabilité héraldique s’observe un peu partout (même s’il faut la considérer comme rare aujourd’hui) mais tout particulièrement en Corse ! Elle ouvre ainsi une piste intéressante à l’approche sociologique, voire psychologique, de l’usage des armoiries comme nous le verrons plus tard…

4/ Les ornements extérieurs.

       Il s’agit de tous les motifs décoratifs ou signifiants placés autour du champ de l’écu. Ils sont nombreux et ont des fonctions diverses.

      Au-dessus de l’écu, il s’agit du timbre: casque ou heaume, couronnes, coiffures ecclésiastiques (tiare, mitre, chapeau) ou civiles (mortier, toque). Les casques sont souvent surmontés d’un cimier, très important ornement extérieur (les motifs en sont innombrables) qui exprime plus encore que l’écu la personnalité la plus profonde voire la plus secrète du possesseur. Michel Pastoureau a su poser à son propos une fort pertinente question: « le cimier: masque ou totem ?« . L’usage des cimiers est particulièrement développé et codifié dans les pays de culture germanique. Les casques portent également des lambrequins qui sont des tissus découpés ou des lanières d’importance et de style variables et qui se répandent au-dessus et autour de l’écu; ils n’ont de fonction que décorative mais il est d’usage que leurs couleurs rappellent celles des armoiries ou du cimier.

      L’écu peut être soutenu par des supports (le plus souvent des animaux) ou des tenants (êtres humains) dont l’usage est libre. Ils n’ont été fixés que dans les familles les plus illustres.

      L’écu peut également être posé sur un certain nombre d’ornements qualifiés d’insignes de dignité tels que manteaux, crosses ou bâtons ecclésiastiques, objets divers rappelant généralement une importante charge militaire ou civile. Il est souvent entouré de colliers ou de rubans d’ordres de chevalerie ou d’insignes de confréries ou d’associations reconnues. En France, les ordres les plus fréquemment représentés furent celui de Saint-Jean de Jérusalem, dit de Malte, du Saint-Sépulcre de Jérusalem, de Saint-Michel (fondé par Louis XI), du Saint-Esprit (fondé par Henri III), de Saint-Louis (fondé par Louis XIV) mais aussi, plus tard, de la Légion d’honneur. On doit y ajouter la Toison d’or pour ceux auxquels elle fut attribuée du temps du duché capétien de Bourgogne ou, plus tard, du royaume d’Espagne ou de l’Empire austro-hongrois.

            Il faut ajouter à tout cela le cri d’arme (mot ou phrase criés dans les batailles pour rassembler et mobiliser; exemple: « Montjoie saint-Denis » pour le roi de France) qui figure au-dessus de l’écu et du timbre et la sentence (mot ou phrase à valeur symbolique), que l’on nomme improprement devise (laquelle est en réalité l’association d’une figure propre à une personne ou une communauté appelée  badge 

– à la sentence), placée à l’inverse sous l’écu. L’un et l’autre sont figurés sur un listel ou une banderole.

Exemple : A droite Armoiries du Royaume-Uni

A suivre…

Jean-Yves Pons, CJA.

 

Index des chroniques « Approches de l’Héraldique »

A

  • A dextre (4)
  • A senestre (4)
  • Accompagnée (4)
  • Aigle (2)
  • Alain Texier (1)
  • Annelet (4)
  • Approches de l’héraldique (1)
  • Armes pleines (4)
  • Armoiries  allusives (2)
  • Armoirties composées (4)
  • Armoiries du Royaume de France (1)
  • Armoiries d’Etat- République française (2)
  • Armorial équestre de la Toison d’or
  • Armoiries impériales

B

  • Banderole
  • Bâton (4)
  • Baton péri (2)
  • Bordure (4)
  • Brochant (4)
  • Brisures (4)

C

  • Cantonnée (4)
  • Chargée (4)
  • CJA (1, 2,3,4)
  • Casque taré (3)
  • Conseil dans l’Espérance du Roi (2)
  • Cotice (4)
  • Couleurs (3)
  • Coupé (4)

E

  • Ecartelé (4)
  • Ecartelé en sautoir (4)
  • En chef (4)
  • En pointe (4)
  • Etoile (4)

F

  • Franc quartier (4)

H

  • Hérauts d’armes

L

  • Lambel (2) (4)
  • langue du Blason (3)
  • Listel (4)

M

  • Maison de Béthune(3)
  • Maison de Turenne ( 3)
  • Maison royale de Bourbons-Deux Siciles (4)
  • Merlettes (4)
  • Mi-parti (4)
  • Rémy  Mathieu (1)
  • Métaux (3)

P

  • Michel Pastoureau (1)
  • Parti (3), (4)

R

  • Royaume de Jérusalem (3)

S

  • Semé (3
  • Support (3)
  • Sur le tout (4)

S

  • Semé (3

T

  • Tenants (4)

 

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