Merci à la Secrétaire générale de la Charte de Fontevrault, Claudine Valenti , qui a bien voulu nous faire parvenir cette incroyable histoire.
Jacques Gagné, rebaptisé Armand de Bourbon. | Wikimedia Commons
Voilà une anecdote historique qui devrait vous faire relativiser l’ampleur des affres que vos propres adolescents vous vont subir.
En 1776, la reine Marie-Antoinette se change les idées avec une promenade en calèche près de Louveciennes. Mariée depuis trois ans à un Louis XVI qui ne semble pas pressé de produire un héritier, la jeune femme de 17 ans est la cible de moqueries à la cour de Versailles. Souffrant d’un manque d’attention de la part de son époux, elle se languit de devenir mère.
Au milieu d’un hameau, le cocher tire brusquement les rênes pour éviter de justesse un garçonnet qui a bondi sur son chemin sans crier gare. Âgé d’environ 3 ans, l’enfant blond comme les blés écarquille de grands yeux bleus étonnés. Sa grand-mère se précipite hors d’une modeste maison en entendant les exclamations. La scène est rapportée en détails par Henriette Campan, dame de compagnie et confidente de la reine, dans ses mémoires publiés en 1823.
Alors que la grand-mère s’apprête à attraper le petit trublion, la jeune souveraine s’exclame, en tendant les bras vers lui, que l’enfant est à elle, puisque le destin l’a placé sur son chemin. Il présente même des similitudes physiques avec la reine, blonde aux yeux bleus.
L’habit ne fait pas le prince
Le petit Jacques (né François-Michel) Gagné a perdu sa mère quelques mois auparavant. Comme ses quatre frères et sœurs, il a été confié à la garde de la grand-mère, qui peine à s’en sortir. Marie-Antoinette y voit décidément la main du destin! «Je prendrai celui-là et apporterai mon soutien aux autres, si vous êtes d’accord?»
«Ah, Madame, ils sont bien chanceux», acquiesce la femme. «Mais Jacques est un vilain garnement», prévient-elle. «J’espère qu’il restera avec vous!» Marie-Antoinette la rassure: elle saura l’amadouer. L’enfant se retrouve aussitôt sur les genoux de la reine dans la calèche, en direction de Versailles. Absolument paniqué, il hurle et s’agite tant, assénant des coups de pieds à la reine et à ses dames de compagnie, qu’il faut interrompre la route.
L’arrivée à Versailles ne semble pas l’intimider. Sous les yeux d’une cour ébahie, «l’Autrichienne» tient elle-même par la main le bout de chou encore habillé de ses vêtements modestes et sales, qui s’égosille en réclamant sa grand-mère, son frère Louis et sa sœur Marianne. Une nounou emmène le pauvre petit Jacques à l’écart pour qu’il se calme. Deux jours plus tard, il est «rendu» à sa nouvelle mère.
«Une tenue blanche bordée de dentelle, une ceinture rose à franges d’argent et un chapeau orné de plumes remplaçaient désormais le bonnet de laine, la petite tunique rouge et les sabots de bois», commente Henriette Campan, qui trouve Jacques «vraiment très beau».
Alias Armand de Bourbon
Louis XVI et Marie-Antoinette semblent sous le charme. Le petit Jacques Gagné est officiellement adopté la même année et rebaptisé Armand de Bourbon.
Auprès de lui, Marie-Antoinette oublie sa frustration. Armand continue à se montrer récalcitrant et ses coups de colère sont redoutés par l’entourage des souverains (cette gravure d’époque le représenterait en plein «caprice»). Elle le couvre d’attention et l’appelle «mon enfant». Le petit Armand lui est amené chaque matin à 9h afin qu’elle puisse prendre son petit-déjeuner en sa compagnie. Elle dîne également avec lui tous les soirs, et il n’est pas rare que le roi les rejoigne.
Le couple royal a cependant tenu parole et pourvu à l’éducation de ses frères et sœurs. L’un d’entre eux, Denis, devient en 1787 violoncelliste du roi. Leur sœur Marie-Madeleine Gagné, au moment de son mariage, possède d’après son contrat la somme de 3.000 livres –ce qui équivaudrait aujourd’hui à plus de 30.000 euros.
Tuer la mère
De multiples sources témoignent que Marie-Antoinette aura pris soin des enfants Gagné jusqu’en 1792. Même emprisonnée, elle aurait continué de prendre des dispositions pour les mettre en sécurité et leur faire parvenir de l’argent. Elle en a fait de même avec les trois autres enfants (Zoé, Jean et Ernestine), qu’elle a adoptés après Armand et qui ont été élevés comme compagnons de ses enfants naturels à Versailles.
Mais cette enfance faite de privilèges forcés a toujours grandement inquiété Armand. Quand le peuple commence à se révolter, il craint que sa position de petit favori de la reine lui attire les pires ennuis. C’est ce qui l’incite à rejoindre les rangs des révolutionnaires en 1789.
Devenu, d’après Henriette Campan, «le terroriste le plus sanguinaire de Versailles», il trouve la mort le 6 novembre 1792 au cours de la bataille de Jemmapes. Ce jour-là, les Français emportent le conflit sur les troupes autrichiennes. Drôle d’Œdipe…