Le Canard enchaîné donne des leçons de français à Villiers (et se ridiculise)
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« Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet », disait Courteline. Philippe de Villiers doit donc boire du petit-lait. Dans un encart qui se veut assassin, Le Canard enchaîné se gausse de Mémoricide (Fayard), le nouveau (remarquable) livre de Philippe de Villiers, qualifiant ce dernier de « graphomane [devant] s’éclairer à la bougie quand il écrit ».
Dormition et lecturation
L’article s’intitule « Vicomte de Mandragore », du nom, dans Harry Potter, de la plante qui crie quand on la déracine. On voit à peu près la métaphore. Mais visiblement, les humanités de l’auteur ne dépassent pas les œuvres compètes de J.K. Rowling. En conclusion, il se moque d’une phrase de Philippe de Villiers – « Face au Wokistan et à l’Islamistan, comment réagit la France ? Elle est en dormition». II rajoute « sic », comme si c’était une incongruité, puis ce qu’il pense être un mot d’esprit : « Bonne lecturation. » Comme si « dormition » était un barbarisme du même registre que la « bravitude » de Ségolène Royal. Euh… les gars, les barbares, c’est vous ! Pas un seul, au Canard enchaîné – car l’article a été nécessairement lu et relu avant d’être publié -, ne connaît donc ce mot ? Il n’y a donc pas un seul dictionnaire, à la rédaction du Canard enchaîné ? Si Villiers écrit à la bougie, eux autres ont besoin d’un éclairage en culture générale.
Même leurs amis de Wikipédia y consacrent une entrée : « Le terme dormition (du latin : dormitio, « sommeil, sommeil éternel, mort » ; grec ancien : κοίμησις, kímisis) est utilisé, dans le vocabulaire chrétien, pour désigner la mort des saints et des pieux fidèles, quand ce n’est pas une mort violente. […] Ce terme s’applique plus particulièrement à la mort de Marie, Mère de Jésus. »
L’écrivain Huysmans – ancien ami de Zola et de Bloy, que connaissait jadis la gauche quand elle avait encore des lettres, puisque cet écrivain catholique converti sur le tard ne détestait rien tant que les notables et les bourgeois – explique la dormition dans L’Oblat : « La Vierge ne mourut, ni de vieillesse, ni de maladie ; elle fut emportée par la véhémence du pur amour ; et son visage fut si calme, si rayonnant, si heureux, qu’on appela son trépas la dormition. »
Assomption
Le mot, particulièrement, utilisé par les orthodoxes, est le thème de nombreuses icônes. Mais chez les catholiques aussi, la Dormition précédant l’Assomption a inspiré de nombreux retables ou tableaux. Une dormition de la Vierge, de Bruegel l’Ancien, a même réussi à émouvoir aux larmes un journaliste de Télérama – c’est dire ! – qui le raconte dans un article assez touchant : « C’est, me semble-t-il, le premier tableau qui me fit pleurer, sans que je sache encore aujourd’hui la raison exacte de ces larmes. »
Faut-il que ce Canard soit enchaîné à ses certitudes, ignorant de tout y compris de ses propres lacunes pour oser dispenser des leçons de langue française à… Philippe de Villiers. Mais il vient parfaitement étayer le livre qu’il prétend étriller. Le « mémoricide », c’est aussi cette méconnaissance : une « langue française » que l’on « brutalise », comme l’écrit Philippe de Villiers, jusqu’à l’ignorer, y compris dans un corps de métier dont elle est en principe l’outil de travail.
Si l’auteur de cette recension lapidaire avait fait une meilleure « lecturation », s’attachant au fond au lieu de se moquer (bêtement) de la forme, il aurait posé la seule question essentielle : la Dormition de la France annonce-t-elle son Assomption ? Mais connaît-il ce dernier mot ?