Héraldique – Article de Monsieur Jean-Yves PONS :
Le Limousin est indéniablement une terre de vicomtes et de vicomtés puisqu’on en compte une douzaine. Cette profusion, dans les trois départements qui correspondent autant à l’ancien diocèse qu’au comté carolingien de Limoges, interroge de longue date les historiens sans avoir été véritablement résolue car les premières générations restent présentées de manière souvent sibylline dans leurs attributions comme dans leurs liens lignagers à partir d’actes souvent non datés et parfois corrompus.
Après la nomination du premier vicomte « du Limousin » à la fin du IXe siècle et de son probable pendant méridional à Tulle, la prolifération des autres « vicomtes » limousins couvre plus de deux siècles, entre le début du Xe et le début du XIIe siècle, si l’on écarte le cas très particulier de Bridiers. Entre cette douzaine de lignages, de nombreux points de convergence existent, que ce soit dans leurs origines, dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux, dans leur identification à un site fortifié éminent, ou dans leur ancrage et leur structuration territoriale.

Les vicomtés du Limousin
Notre objectif aujourd’hui est d’en présenter les caractères héraldiques qui ne sont apparus que dans la seconde moitié du XIIe siècle c’est-à-dire après leur installation et leur organisation régionale. Ces caractères sont donc importants puisqu’ils expriment une situation déjà ordonnée.
Historiquement, le premier vicomte fut celui de Limoges, dit au début “Du Limousin” ce qui est essentiel pour comprendre son origine carolingienne (voire même peut-être antérieure), dans le cadre de la réorganisation des territoires aquitains du Haut-Moyen-Age. Il s’agit d’un certain Hildegaire, proche et fidèle de l’empereur Charles le Chauve, en 884. Les premières armoiries des vicomtes de Limoges issus de celui-ci n’apparaissent qu’avec Adhémar (Aimard) V de Comborn, alors vicomte de Limoges du chef de sa grand-mère paternelle Brunissende de Limoges et se blasonnent ainsi : “d’or à trois lions d’azur armés et lampassés de gueules“. Nous n’en connaissons pas l’origine pourtant si différente de celles des autres vicomtés y compris apparentées et ce mystère nous interpelle toujours :

Armoiries des vicomtes de Limoges
Parallèlement à la création de la vicomté de Limoges apparut dans le Bas-Limousin, à la même époque, une vicomté éphémère de Tulle, dont les membres semblent issus des comtes de Quercy et auraient été apparentés aux comtes de Poitiers. Cette lignée se fondit dans la première maison de Turenne avant l’apparition des armoiries et… n’en posséda donc pas.
Apparaissent alors quatre nouvelles vicomtés, dites de la deuxième génération (Xe siècle) : Aubusson, Ségur, Comborn et Turenne.
Aubusson n’est mentionnée que dans le courant du Xe siècle avec le vicomte Rainaud, fils de Ramnulphe un frère du vicomte de Limoges d’alors. La vicomté est alors davantage tournée vers le Bas-Limousin (Gimel, d’Egletons et d’Uzerche) avant de se lier au comté de la Marche plus au nord (si vous passez par Aubusson ne manquez surtout pas de rendre visite à la Cité internationale de la tapisserie, une merveille !). Les vicomtes d’Aubusson portèrent plus tard les armoiries suivantes : “d’or à la croix ancrée de gueules“.

Armoiries des vicomtes d’Aubusson
Ségur a une histoire bien incertaine et pourtant réelle. On dit la vicomté directement apparentée à celle de Limoges mais sans certitude concernant le sens et la nature de cet apparentement. Quoi qu’il en soit elle perdura en la forme jusqu’à la fin du XIIIe siècle avec pour armoirie les suivantes : “de gueules à la barre d’or alias barré de gueules et d’or“. Plus tard, la seconde maison de Ségur prit pour armes “écartelé, aux 1 et 4 de gueules au lion d’or, aux 2 et 3 d’argent plein“.

Armoiries des premiers vicomtes de Ségur

Armoiries de la seconde maison de Ségur
La vicomté de Comborn est, en réalité, la plus importante par ses liens avec l’ensemble des vicomtés limousines. Elle démarre au milieu du Xe siècle avec un Archambaud dit “jambe-pourrie” à la suite d’une grave blessure, lui-même fils d’un autre Archambaud et père d’un Eble dit “le vieux“, à l’origine des maisons de Comborn (retrouvée sans discontinuer sur une dizaine de générations) mais aussi de Turenne, du chef de sa seconde épouse Sulpicie de Turenne, de la seconde maison de Limoges et, enfin, de la vicomté de Ventadour !
A partir d’Archambaud V de Comborn (1162-1184, fils d’Archambaud IV et Brunissende de Limoges, les Comborn portèrent comme armes : “d’or à deux lions léopardés de gueules, l’un sur l’autre“.

Armoiries de la maison de Comborn
Bien que l’existence d’un castrum important soit déjà connue dès Pépin le Bref, l’implantation d’un premier vicomte à Turenne est attestée vers 941, avec Bernard, époux de Deda, fille du vicomte Adémar dit « des Echelles » (Tulle), elle-même qualifiée de vicomtesse en 984. À la même date, leur seul fils connu, Adémar vicomte, est dit défunt et le couple n’a plus que deux filles, mariées respectivement à Archambaud de Comborn (jambe-pourrie) et à Ramnulphe d’Aubusson (voir ci-dessus). Le conflit entre les deux branches fut rude et c’est le petit-fils aîné d’Archambaud et Sulpicie, Guillem (prénom en référence à la grande famille carolingienne des Guilhermides – https://charte-fontevrault-providentialisme.fr/index.php/2023/01/31/contribution-decisive-a-letude-de-lascendance-davidique-des-rois-de-france/ -) qui devint vicomte de Turenne ; le second, Archambaud conservant Comborn.
A partir de Raymond II de Turenne (https://charte-fontevrault-providentialisme.fr/index.php/2023/02/22/jean-yves-pons-a-propos-dun-jugement-de-dieu-au-xii-eme-siecle-1-2/ , https://charte-fontevrault-providentialisme.fr/index.php/2023/02/25/jean-yves-pons-a-propos-dun-jugement-de-dieu-au-xii-eme-siecle-2-2/ et aussi https://charte-fontevrault-providentialisme.fr/index.php/2023/03/04/bref-armorial-de-la-charte-limousine-de-1179-sur-un-duel-judiciaire/ ), les armoiries de la vicomté de Turenne furent sans discontinuer : “coticé d’or et de gueules de douze pièces“:

Armoiries de la maison de Turenne
Un peu plus tard (vers l’an 1000), apparaît dans le nord du Limousin une nouvelle vicomté, Brosse, qui est attestée mais sans véritable vicomte identifié. On sait seulement que des seigneurs y résidaient, aux confins de la Marche, et que leur héritière Rotilde épousa dans la deuxième moitié du Xe siècle, Géraud, vicomte de Limoges. Dès lors ce domaine demeura au sein de la vicomté de Limoges en la personne de l’un de leurs fils prénommé Bernard dont la descendance est ensuite bien suivie jusqu’au début du XIVe siècle où la dernière héritière de la vicomté épouse un Chauvigny de Châteauroux (les cadets devenant barons de Boussac). Les armoiries des vicomtes de Brosse, à partir du XIIe siècle, sont les suivantes : “d’azur à trois gerbes de blé d’or liées de gueules” (armes parlantes).

Armoiries des vicomtes de Brosse
Les vicomtes de Rochechouart sont bien identifiés depuis Aymeric Ostafranc, frère du vicomte de Limoges, Guy Ier, au début du XIe siècle. Encore une relation familiale propre à la théorie de “l’essaimage lignager“… Dans la seconde moitié du XVe siècle, la succession passe par une fille : mariée à un proche du roi Louis XI, Jean de Pontville, devenu titulaire de la vicomté gersoise de Brulhois, qui accepte de relever les nom et armes de Rochechouart (bien plus honorables) qui sont les suivantes : “Fascé ondé d’argent et de gueules de six pièces“.

Armoiries des vicomtes de Rochechouart
Les vicomtes de Ventadour sont issus d’un cadet des Comborn, Ebles I, ce qui conforte la théorie de “l’essaimage lignager“. Ce personnage, fils d’Archambaud II de Comborn et de Rotberge de Rochechouart, apparaît à de nombreuses reprises aux côtés de ses frères Archambaud III et Bernard I. À la mort de leur père, vers 1059, les trois frères sont appelés collectivement « vicomtes ». D’après la Chronique de Geoffroy de Vigeois, rédigée vers 1180, il y eut partage du patrimoine paternel entre les deux frères aînés alors que le cadet, Bernard, héritait de quelques terres et d’une église.
La filiation directe est assurée jusqu’à la fin du XVe siècle, lorsque le titre tombe en quenouille pour être relevé par les Lévis de La Voulte. Entre temps, la vicomté avait été érigée en comté en faveur de Bernard de Ventadour (en 1350). Leurs armoiries ont toujours été les suivantes : “échiqueté d’or et de gueules” :

Armoiries de Ventadour
Gimel est d’apparition plus tardive bien qu’un castrum y soit attesté avant le XIe siècle et semble d’abord tenu par les vicomtes d’Aubusson. Le titre de vicomte y est manifestement porté par une branche cadette des vicomtes d’Aubusson. L’entrée du vicomte dans la mouvance de Turenne, comme fief de reprise en 1164, prouve que les Aubusson ne sont plus suffisamment implantés dans le secteur pour assurer la protection du site castral. Les vicomtes de Gimel disparaissent ainsi au début du XIIIe siècle pour laisser place à un lignage dit « de Gimel » mais non titré. Nous en connaissons l’un des membre cité dans cet article : https://charte-fontevrault-providentialisme.fr/index.php/2023/02/25/jean-yves-pons-a-propos-dun-jugement-de-dieu-au-xii-eme-siecle-2-2/ . Les Vicomtes de Gimel, à partir de la seconde moitié du XIIe siècle portaient pour armoiries : “burelé d’argent et d’azur à la bande de gueules brochant sur le tout“.

Armoiries des vicomtes de Gimel
La vicomté de Ribérac est aussi tardive et éphémère que la précédente. En 1106, Archambaud, frère cadet du vicomte Raymond I de Turenne, est qualifié de « vicecomes de Ribeirac ». Il meurt sans postérité avant 1117. Mais le titre réapparaît avant 1168 avec Raymond II, vicomte de Turenne et de Ribérac (1160-1191). Ribérac semble ensuite constituer la dot de sa fille Mathilde, mariée à Hélie Taleyran, ce qui explique que le comte de Périgord, Archambaud I, s’en titre en 1211.
L’historiographie parle d’un vicomte Alquier de Ribérac au Xe siècle mais ce personnage reste mal documenté. Les Turenne ont sans doute mis la main sur cette terre par le mariage de Boson I avec Guirberge de Terrasson à la fin du XIe siècle. En tout cas, Ribérac accompagné du titre vicomtal sert de dotation pour des cadets ou des filles, avec clause de retour à la branche aînée.
Le titre vicomtal semble rapidement abandonné dans la première moitié du XIIIe siècle, Ribérac devenant une simple seigneurie des sires de Pons, par ailleurs héritiers de la moitié de la vicomté de Turenne après 1251. Les armoiries en sont donc celles des maisons de Turenne (voir ci-dessus) puis de Pons.
Enfin, disons un mot de la dernière des vicomtés, aussi éphémère que la précédente, celle de Bridiers, située au nord de la Creuse. En réalité, ce territoire a fait partie depuis le XIIe siècle des fiefs tenus par les vicomtes de Brosse, avec Crozant et La Souterraine, lesquels opèrent un démembrement en faveur d’un cadet. Il faut attendre le milieu du XIVe siècle pour trouver enfin mention, dans un arrêt du Parlement de 1355, de Jeanne de Dreux, vicomtesse de Thouars, et de son « manoir dudit vicomte de la châtellenie de Bridiers ».
Les armoiries des seigneurs de Bridiers sont celles-ci : “d’or à la bande de gueules“.

Vicomté de Bridiers
Au terme de ce rapide mais passionnant survol du phénomène vicomtal en Limousin l’héraldique nous semble une fois de plus un intéressant fil conducteur de liens ayant existé dès le début de l’organisation carolingienne du territoire. Vous aurez remarqué en effet que si les armoiries des principales et plus anciennes vicomtés sont toutes différentes elles sont reliées par la permanence de deux couleurs toujours associées, l’or (jaune) et le gueules (rouge) à l’exception de la vicomté de Limoges, ce qui n’est probablement pas innocent.
Laissons de côté Brosse, Rochechouart et Gimel qui sont plus tardives et des émanations des premières immédiatement post-carolingiennes et réfléchissons un instant à Limoges dont les armoiries sont d’or à trois lions d’azur armés et lampassés de gueules. Si le champ reste d’or pourquoi trois lions d’azur ? Rappelons que la vicomté de Limoges est la première fondée par les comtes carolingiens du Poitou et que de celle-ci relèvent, dès les origines, les trois autres plus importantes : Comborn, Turenne et Ventadour. Avec, en prime, le principal siège épiscopal tenu par Saint-Martial. Il n’est donc pas interdit de penser que, lors de l’apparition des premières armoiries (seconde moitié du XIIe siècle), les vicomtes de Limoges ait voulu ainsi montrer leur prééminence historique sur les trois autres principales vicomtés. C’est ainsi que l’usage à composé un écu commun écartelant ces différentes armoiries et longtemps attribué à la Corrèze : “écartelé, en 1 de Comborn, en 2 de Ventadour, en 3 de Turenne et en 4 de Limoges“.

Département de la Corrèze
Le 13 novembre 2025.
Pour le CER et La Charte de Fontevrault, Jean-Yves Pons, CJA.
