Professeur Edouard Husson. 22 mars 2020. Lettre ouverte à l’évêque de mon diocèse et à tous les évêques de France

Paris, Le 22 mars 2020

 Lettre ouverte à l’évêque de mon diocèse et à tous les évêques de France

   Monseigneur,

Des millions de Français sont privés de l’accès à la messe et à la communion en ces

temps d’épidémie suite à une série de décisions prises par la Conférence des évêques de

France et chaque évêque en son diocèse. Ces décisions, qui sont présentées comme

inévitables,  sont-elles bonnes pour l’Eglise et les catholiques et tous les habitants du

pays à supposer qu’elles aient été nécessaires ? Où nous conduisent-elles ? Comment 

sortir de l’impasse ?

 

Rien ne justifiait de renoncer à un accès régulé aux églises

Ecartons l’argument de l’obéissance aux pouvoirs publics.

D’abord, nous avons vu nos pouvoirs publics hésiter sur beaucoup des modalités du

confinement et vous auriez eu l’occasion de les influencer dans le sens du bien de l’Eglise

et de la société française. Comment se fait-il que lorsque nous remplissons « l’attestation

de déplacement dérogatoire » nous ne trouvons pas de case à cocher pour le fait de nous

rendre dans notre paroisse ! On permet aux gens d’aller faire leurs courses alimentaires.

L’homme ne vivant « pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche

de Dieu », il va de soi, dans une société où la mort peut surgir de façon inattendue et

prématurée, que le soin des âmes devrait être au centre. Aussi, permettez-nous de vous

demander pourquoi ne vous êtes-vous pas battus pour garder l’accès des fidèles à

la messe?

On objecte aussi qu’on ne pourrait pas admettre les fidèles à la messe à cause du danger

de rassembler les gens dans une église, pour des raisons de contagion. Mais la parade est

évidente : assurer suffisamment de messes pour qu’il n’y ait, à chacune, qu’un petit

nombre de fidèles ! D’ailleurs les évêques d’Ile-de-France avaient, dans une première

instruction, le vendredi 13 mars, annoncé que les messes en semaine seraient

maintenues, partant du constat qu’elles sont moins fréquentées que les messes du

dimanche! J’étais, avant le confinement, à une messe en Allemagne, très bien organisée

pour répondre au défi de l’heure sans priver les fidèles de l’essentiel. Une chaise sur deux

avait été retirée et les gens respectaient la distance prudentielle. La communion était

distribuée uniquement par les prêtres qui s’étaient désinfectés les mains auparavant.

Donc c’est possible. Rien ne justifie le fait que vous n’ayez pas décidé de persister dans

votre premier mouvement, qui était de faire dire plus de messes.

 

La messe en ligne ? Le Christ ne s’est pas incarné virtuellement !

Bien sûr les prêtres de nos paroisses continuent à dire la messe, « pour la gloire de Dieu

et le salut du monde ». Les fidèles, peuvent s’unir à la prière de l’Eglise universelle et

demander la grâce de la communion spirituelle. Les moyens modernes servent aussi à

diffuser des messes par vidéo. C’est le cœur du sujet ! Soyons reconnaissant de l’effort

que fait l’Eglise pour, grâce aux nouvelles technologies, ne pas perdre le lien. Mais cela

reste radicalement insuffisant et donc ne peut être que provisoire. L’incarnation du Fils

n’est pas une incarnation virtuelle ! Elle est une incarnation réelle : trois fois par jour, à

la sonnerie de l’Angélus, nous nous tournons vers le tabernacle de nos églises et nous

répétons que « Le Verbe s’est fait chair ! ». Il serait extrêmement dangereux, même à

court terme, d’habituer les fidèles à « la messe en ligne ». Cela reviendrait à souhaiter

une sorte de « désincarnation » du Christ. Dans une société où les gens s’enfoncent

volontiers dans des univers virtuels parallèles, il est essentiel de rappeler que le

christianisme est un réalisme, le réalisme intégral, qui s’adresse à chacun. Et il faut

prendre conscience, en outre, que les moyens de diffusion de la messe en ligne

n’atteindront pas les plus pauvres, tous ceux qui sont du mauvais côté de la « fracture

numérique ».

La messe n’est pas un service religieux comme un autre. Elle a une spécificité. Elle n’est

pas simplement prière rassemblée des fidèles. Elle n’est pas simplement partage de la

Parole de Dieu. Elle n’est pas seulement commémoration de la dernière Cène. Le don

inouï que vous avez reçu de la chaîne de succession apostolique et que vous transmettez

à tous ceux que vous ordonnez, c’est de faire advenir le Christ, réellement, à chaque

messe, sous les espèces du pain et du vin! Le Christ est vraiment là. C’est la foi de nos

pères, et que nous avons le devoir de transmettre à nos enfants : non seulement Jésus est

ressuscité mais que j’ai la possibilité d’aller le recevoir en personne, de communier à son

corps. Il est vraiment là, à chaque consécration du pain et du vin par tous ceux qui sont

« prêtres selon l’ordre de Melchisédech ».

Oui, nous prierons, dans ces semaines de Carême, en disant le Rosaire avec le pape et

toute l’Eglise. Oui nous nous associerons à distance à des messes pour porter avec vous

l’offrande eucharistique. Mais cela ne nous suffit pas, Monseigneur. Nous sommes de

pauvres êtres de chair et nous ne pouvons être sauvés que parce que le Christ s’est

incarné. Nous voulons voir Jésus en direct. Nous voulons, comme la femme souffrante

de l’Evangile, toucher la frange de son manteau. Nous voulons communier à son corps.

                    Nous sommes comme l’aveugle de Jéricho !

Arrêtons-nous quelques instants sur le très bel épisode de la rencontre entre Bartimée

et Jésus à la sortie de Jéricho, telle que nous le rapporte, par exemple, l’Evangile de

Marc. Cet homme aveugle, « apprenant que c’est Jésus le Nazaréen » qui passe, se met «

à crier et à dire « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! ». L’évangéliste précise « Et

beaucoup le menaçaient pour qu’il se taise, mais il n’en criait que de plus belle : « Fils de

David, aie   pitié de moi ! » Et s’arrêtant, Jésus dit : « Appelez-le !» Et on appelle

l’aveugle, on lui dit : « Courage, debout, il t’appelle ! » » Alors, continue l’évangéliste, «

rejetant son manteau, d’un bond, il vient vers Jésus. Et s’adressant à lui, Jésus dit : «

Pour toi, que veux-tu que je fasse? ». L’aveugle lui dit : « Maître, que je recouvre la vue !

». Et Jésus  lui répond : « Va, ta foi t’a sauvé ! » et aussitôt il recouvra la vue, et il le

suivait sur le   chemin ». Ce récit n’est pas reproductible par un jeu vidéo ; il a lieu au

début de chaque messe pour chacun d’entre nous, lorsque nous nous rendons dans une

église, où aucune   foule, aucun individu malintentionné ne peut nous interdire l’accès à

Jésus, et où, comme Bartimée, nous rejetons le manteau du péché et nous crions au

Christ « Seigneur  prends pitié ! ». Et lorsque vous les prêtres nous rendez ce « cœur pur

»   qui permet de   voir Dieu, en nous donnant l’absolution initiale, nous pouvons alors

suivre Jésus sur le chemin très concret de la messe qui mène jusqu’à la Cène et au

Golgotha, au moment  de la consécration. L’Evangile aurait beaucoup moins d’effet sur

nos vies s’il n’était, à chaque messe, incarné dans la liturgie !

           Un pays en pleine épidémie a besoin du médecin suprême.

  Un pays en pleine épidémie a plus que jamais besoin du médecin suprême. Le Christ ne

nous a jamais demandé de renoncer à la raison ni à la prudence. Au contraire, il a libéré

toutes les facultés humaines « du double esclavage de l’ignorance et du péché » (Saint

Thomas d’Aquin). Et il est normal que l’on exige des précautions des fidèles. Il est

normal que l’on recommande aux personnes âgées de ne pas prendre de risque

inconsidéré. Mais si la foi aide la raison à s’épanouir, elle ne perd pas ses droits. Puisque

nous avons la certitude, reçue des apôtres, soigneusement transmise de génération en

génération et renouvelée chaque jour à la messe, que le Christ est vraiment là parmi

nous, qu’avons-nous à craindre lorsque nous allons le rencontrer? N’est-il pas le grand 

guérisseur?

Passion. Vous ne pouvez pas renoncer en acceptant un écran entre le Christ et

nous. Si vous n’entendez pas l’attente et le besoin impérieux de millions de fidèles, alors

ce sont les pierres de nos églises qui se mettront à crier !

Cette situation pose aussi très clairement le problème de l’existence même de l’Eglise

dans notre pays et du témoignage qu’elle doit y apporter. N’avons-nous pas cédé trop

facilement ? Et renoncé à donner le seul témoignage qui vaille aujourd’hui : oui c’est

vraiment lui. Des messes sans fidèles déboucheront vite sur un pays sans messes. La

communion des fidèles est la première évangélisation ! Certes vous dites la messe, le

Christ advient. Mais pouvez-vous le garder pour vous? Ce serait quand même un

paradoxe qu’un demi-siècle après Vatican II, les clercs pratiquent un tel repli sur eux-

mêmes ! Ce serait un paradoxe que nous tous, prêtres comme fidèles, nous n’allions plus

porter le Christ au monde ! Ce serait terrible en ces temps de pandémie que nous

n’allions pas réconforter nos frères malades, croyants ou non croyants, non pas

simplement avec de bonnes paroles ni avec des recettes spirituelles mais avec la Christ

lui-même, présent au milieu du monde et bien vivant en nous.

                Qu’avons-nous à dire à une société sans boussole ?

  Le Premier ministre a tenu, mardi 17 mars au soir, des propos glaçants, non seulement

pour un chrétien mais pour un humaniste. Il a expliqué qu’il ne fallait pas aller à un

enterrement, même d’un proche, en ces périodes de confinement. Le soin des morts est

ce qui fonde l’humanité. Que l’on se rende à l’église, au cimetière ou au crématorium, la

question de la prudence sanitaire est la même. Ce que nous a dit le Premier ministre,

c’est que nous vivons dans une société où l’on ne peut pas aller enterrer ses morts. Il

défie non seulement la sagesse de la Bible mais celle des Grecs donnant raison à

Antigone voulant enterrer son frère contre la volonté du tyran Créon. Le Premier

ministre parle au nom d’une société, et c’est lié, qui est en train, faute que ses

gouvernants aient anticipé une crise, de ne plus soigner les malades du Coronavirus

quand ils ont dépassé un certain âge. Mais qui s’occupera de ces morts? Est-ce que nous

voulons, nous chrétiens, appuyer par passivité ces choix? Et comment saurons-nous les

contester si nous ne donnons pas l’exemple? Comment remettrons-nous l’échelle des

valeurs à l’endroit si les prêtres ne sont pas, autant que les médecins, sur le pont? S’ils

ne donnent pas le médicament de la vie éternelle à tous ceux qui viennent le demander?

S’ils ne vont pas détecter les maladies de l’âme, comme on détecte un virus physique,

pour le soigner ? Comment pourrons-nous, les fidèles et les religieux, être vos auxiliaires,

des aides-soignants, si vous ne vous faites pas les médecins spirituels de nos frères? A-t-

on jamais vu des médecins garder leurs médicaments pour eux? Surtout quand ils

peuvent les fabriquer en abondance, tels Jésus à la multiplication des pains?

Ne faut-il pas faut changer de méthode. Aussi, je voudrais vous faire quelques

suggestions :

Il faudrait absolument profiter de ce que les pouvoirs publics réfléchissent à la

suite du confinement pour faire inclure le droit pour les Français qui pratiquent

un culte d’aller au lieu du culte, avec la garantie du respect, par les représentants

de ce culte, des règles de « distanciation sociale ». Les catholiques peuvent, à

cette occasion, montrer qu’ils sont exemplaires. Cela vous permettra de préparer

les pouvoirs publics à la tenue des messes et cérémonies de la Semaine Sainte. Il

n’est pas pensable que les fidèles ne puissent accéder au moins à la messe des

Rameaux et à la messe de Pâques. Vous trouverez suffisamment de fidèles

disposés à vous aider pour réfléchir à la bonne façon de procéder.

Maintenez les églises ouvertes, quoi qu’il arrive, dans une deuxième phase de

confinement. Et il serait très important que de longues expositions du Saint-

Sacrement aient lieu. Il serait approprié, aussi, que les fidèles puissent, à cette

occasion venir et recevoir la communion en files espacées le dimanche s’ils n’ont

pas pu assister à une messe où s’il n’était pas possible de célébrer suffisamment

de messes pour les recevoir.

Il faut commencer dès maintenant à réfléchir à la sortie de crise et au monde

d’après. Malheureusement, l’Eglise n’aura pas été suffisamment présente pour

témoigner auprès de nos frères non-croyants pendant une période de crise.

Depuis deux mille ans, les chrétiens avaient toujours répondu présent, en

première ligne, pour soutenir leurs frères dans les périodes de pandémie. Notre

monde est malade d’une absence de Dieu. Au bout du compte, la bonne réponse

à la crise que nous traversons ne peut être que spirituelle. Là où l’Esprit n’est pas

présent, règne la peur, qui fait agir de manière désordonnée dans l’ordre

temporel.

Nous n’aurons pour notre part, catholiques français, pas de raison d’être

particulièrement fiers de nous. Mais l’impasse dans laquelle nous nous nous

trouvons et dont je suis sûr nous allons trouver le moyen de sortir, est finalement

l’aboutissement d’une longue série de défaites des catholiques pour infléchir les

choix de société : à part la défense de la liberté scolaire, depuis un demi-siècle,

nous avons perdu les batailles pour la liberté de conscience et la dignité de la

personne : avortement, recherche sur l’embryon, « mariage pour tous », « PMA

pour toutes»….Notre inefficacité collective doit nous pousser à réfléchir

sérieusement. L’exclusion pure et simple des fidèles des messes en période de

confinement pour lutter contre le coronavirus est l’aboutissement d’une

incapacité croissante de l’Eglise qui est en France à peser efficacement sur les

débats de la nation.

Avec le Christ, il n’est jamais trop tard. Sachons nous ressaisir. Le Christ dort dans

nos tabernacles mais si nous le réveillons, il menacera le vent et dira à la mer de

s’apaiser. Puis il nous posera la question légitime : « Pourquoi êtes-vous si peu

courageux ? Comment n’avez-vous pas de foi ? » Et nous nous rappellerons la

question des Apôtres, entre eux : « Qui donc est-il, celui-là, que même le vent et

la mer lui obéissent ? »

www.zazzle.fr/carte_postale_millet_angelus_1857-

    Monseigneur, permettez-moi, pour finir, de

vous faire   une demande. Puisqu’avec vos frères

évêques, au sein de la  Conférence épiscopale,

vous avez décidé de faire sonner les cloches

pendant dix minutes, à l’heure de l’Angélus du

soir, le jour de l’Annonciation.

Au XIVè et au XVè siècles, dans des temps aussi

troublés que le nôtre, une pratique s’est  répandue, celle de dire trois fois par jour

l’Angélus.

   Un célèbre tableau de Jean-François Millet nous fait comprendre de manière

saisissante combien l’Angélus a fait la France !

           En ces temps de confinement, nous pourrions nous engager, collectivement, et à

partir de la fête de l’Annonciation 2020, à nous arrêter, tels les personnages du tableau

de Millet, au moment du lever, à midi et quand tombe le jour, pour réciter la prière qui,

mieux que toute autre, dit la réalité et la force de l’Incarnation. Pourriez-vous

recommander cette pratique aux fidèles de votre diocèse ?

Nos pères le savaient, tous les saints nous l’ont dit, le Saint Père en témoigne chaque

dimanche à midi : l’efficacité de cette prière vient de ce qu’elle touche le cœur de Marie.

Nous pourrions en quelques semaines, par la pratique collective d’un Angélus vespéral,

commencer par retisser le lien distendu entre tous les catholiques de France. Nous

pourrions aussi donner à nos frères non-croyants, en cette phase de désorganisation des

journées, l’exemple d’une organisation chrétienne du temps, rythmée par la triple

récitation de 7h, midi et 19h. Dieu pourvoira au reste, si nous avons la foi.

Veuillez agréer, Monseigneur, l’expression de mes sentiments filiaux.

        Paris, Le 22 mars 2020

 

Edouard Husson Professeur des universités

NDLRB . https://fr.wikipedia.org/wiki/Édouard_Husson_(historien)

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