Frank Abed présente Robespierre par Jean-Clément Martin

Les deux principales images communément retenues de Maximilien de Robespierre sont celles de l’Incorruptible et du Tyran. Son action politique hante toujours les discussions intellectuelles et historiques plus de deux cent vingts ans après sa mort, tant il fut l’un des principaux moteurs de la Révolution au point de l’incarner. Aujourd’hui encore, aucune artère parisienne ne porte son nom. C’est dire la gêne ressentie face à l’héritage robespierriste par les autorités républicaines successives depuis 1794.

Jean-Clément Martin, professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne nous propose un livre « éminemment politique » consacré à cette personnalité hors du commun. Il revient sur le parcours extraordinaire de Robespierre, commencé à Arras et terminé Place de la Révolution, tête défigurée au vent et conspué par la foule (1). Cette dernière célébrait la mort de celui qu’elle considérait comme un despote et se montrait heureuse de retrouver cette liberté tant chérie après des mois de tension et de crainte.

Beaucoup associent le nom de Robespierre à la Terreur, mais ils négligent ou méconnaissent l’envergue de ses prédilections politiques. L’oeuvre intellectuelle de Robespierre ne peut être cantonnée à ce seul aspect. Il suffit de lire les plus grands discours de Maxime (surnom donné par ses intimes) pour s’en rendre compte. Les Thermidoriens l’accusèrent très vite d’avoir été le seul instigateur de cette politique ultra répressive et le condamnaient comme seul responsable pour la postérité. Cependant ce réquisitoire a-t-il un réel fondement historique ? Ou au contraire s’agit-il d’une reconstruction à postériori de la part des adversaires de Robespierre ? Ces deux questions exposent parfaitement la thèse centrale de l’ouvrage. Martin explique, loin de tout esprit partisan et de tout sentimentalisme, que le « Robespierre monstre » fut en réalité littéralement fabriqué par ses adversaires.

En effet, comme le rappelle Martin, dès les premières pages de son très bon ouvrage, cette caricature fut imposée par les vainqueurs du 9 thermidor (2) : « dès le lendemain (de la mort de Robespierre), tandis que soixante et onze autres robespierristes sont exécutés à leur tour, Barère, député à la Convention et membre influent du Comité de salut public, assure que la France vient de supprimer le tyran et sort de la dictature ». Tallien, un autre conventionnel célèbre, déclame à la tribune que : « le 9 thermidor, le pays s’est débarrassé du système de terreur en chassant du pouvoir Robespierre qui en avait été l’instigateur et l’organisateur ». La mort de Robespierre qui n’était finalement qu’un membre parmi d’autres du Comité de Salut Public : « devient une des journées – après celle du 14 juillet et du 10 août – qui firent l’histoire de France, puisqu’il est régulièrement admis depuis que la Révolution française commencée en juillet 1789 s’achève – pour sa phase proprement révolutionnaire – en juillet 1794 ».

L’auteur prend le soin de préciser que les personnes qui envoyèrent Robespierre sur les genoux de la grande faucheuse refusaient d’assumer les violences de la guerre civile et son cortège de morts, même si pour la plupart ils y participèrent allègrement, tout en désirant conserver les avantages que la Révolution leur avait procurés. Il est indiscutable que Robespierre a exercé des responsabilités politiques lors des événements de 1793, tout en mettant en place – paradoxe robespierriste ? – un système permettant le contrôle des révolutionnaires les plus violents ou fanatiques (Carrier, Collot d’Herbois, Fouché, etc. ). Il faut comprendre son exécution comme le paroxysme d’une rivalité politique entre différentes factions pour le contrôle des destinées de la Révolution. Curieusement et aussi étonnant que cela puisse paraître, l’association responsable de la chute de Robespierre fut composée de modérés et de membres de l’extrême gauche. Selon les tendances et couleurs politiques, ses accusateurs lui reprochèrent son extrémisme ou sa modération.

Robespierre a de son vivant suscité des commentaires divers voire opposés. En effet, il se présente tout à la fois comme : un homme secret et solitaire, un puissant politique disposant d’un réseau aux ramifications très étendues, adulé des foules notamment des femmes mais craint par de nombreux révolutionnaires, monstre et bouc émissaire. De fait comment discerner la réelle personnalité de Robespierre ? Martin développe l’idée suivante : « la personnalité publique de Robespierre est indissociable des images, louanges, accusations et calomnies qui lui ont été accolées après le 9 thermidor, mais aussi dès 1789. Il est alors d’autant plus difficile d’accéder à l’individu lui-même que les sources authentiques sont peu nombreuses et très connues ». L’objectif que se fixe Martin est clairement énoncé : « ne cherchons pas le vrai Robespierre sous les oripeaux qui le masqueraient, mais essayons plutôt de comprendre comment et pourquoi les éléments de sa courte vie ont pu servir à bâtir l’échafaudage proprement monstrueux qui l’a enseveli – et immortalisé, ce qui ne se produisit pas pour ses contemporains, même ceux qui furent ses proches, ses soutiens et ses concurrents ».

Pour Martin, Robespierre se présente telle une véritable énigme. En effet, ce petit avocat arrageois devint un homme dont le nom fut redouté de son vivant en France et à l’étranger. Une fois mort, son souvenir inspirait encore effroi, inquiétude et également de l’enthousiasme. Après son exécution, il eut de nombreux défenseurs (3). Effectivement plusieurs personnalités politiques, encore aujourd’hui, se réclament de sa pensée. Pourtant, Martin pose une question fondamentale : « comment se fait-il qu’un homme dont la vie personnelle se résume à si peu de chose, qui vécut sans argent, qui ne disposait pas de relations remarquables, qui n’eut jamais de pouvoirs exceptionnels, ait pu jouer un rôle si extraordinaire ? ». En lisant cet ouvrage, nous comprenons – entre autres – par quels moyens et procédés Robespierre sut gravir les échelons de cette société d’Ancien Régime et s’imposer comme l’une des figures majeures de la Révolution.

Etudier et écrire sur Robespierre revient en définitive à étudier et à écrire sur la Révolution. Martin établit le constat suivant : « l’individu-Robespierre a été ainsi coulé de force dans le personnage-Robespierre, lui-même assimilé au destin national, si bien que retracer son histoire conduit à entreprendre une sortie d’histoire parallèle de la Révolution française ». Chacun sait que la France conserve une forte tradition révolutionnaire que ce soit en esprit ou dans les institutions. Nonobstant cet état de fait, notre pays rencontre encore la plus grande difficulté à regarder ces années (1789-1794) dans le blanc des yeux. Il ne s’agit nullement d’un hasard ou d’un malentendu. La République éprouve toujours de l’embarras dès qu’on évoque son passé ou son acte de naissance…

Cette biographe ne présente pas de découvertes documentaires inédites, mais elle nous propose une étude historique et politique passionnante éloignée des poncifs thermidoriens qui ont gravé dans le marbre l’idée d’un Robespierre « sanguinaire » et unique responsable du totalitarisme révolutionnaire. Rappelons qu’il s’était prononcé contre la peine de mort au début de sa carrière politique même si, lors des discussions concernant le sort à réserver au roi Louis XVI, il avait dit : « Louis doit mourir pour que la patrie vive ».  Ainsi va la vie ou la mort.

Franck ABED

(1) Lors de son arrestation qui fut mouvementée, Maximilien est gravement blessé à la mâchoire, sans que l’on sache précisément si c’est le gendarme Merda (ou Meda, l’orthographe est incertaine) qui lui a tiré dessus ou s’il s’agit d’une tentative de suicide. Le jour de l’exécution sa mâchoire était maintenue par un bandage qu’on lui retira quand il monta à la guillotine. Selon les commentaires et observateurs de l’époque le fait de lui ôter cette bande lui arracha un « grand cri de douleur ».

(2) 27 juillet 1794, coup d’Etat entraînant la chute des robespierristes.

(3) Nous pensons principalement à Albert Dulin de Laponneraye qui entreprit en 1832 la publication des discours de Robespierre en fascicules, avant d’éditer les Mémoires de Charlotte de Robespierre sur ses deux frères en 1835 puis les Œuvres de Maximilien Robespierre en quatre volumes en 1840, qu’il contribua largement à diffuser. Pour la petite histoire, il était le fils d’un officier qui avait émigré 1791 à 1801.

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