Jean-Yves Pons. Nous devrions être très attentifs à ce qu’il se passe au-delà des Alpes. 

Nous devrions être très attentifs à ce qu’il se passe au-delà des Alpes. 

Beaucoup l’ont oublié mais l’Italie, notre cousine germaine, a très souvent été le laboratoire politique de l’Europe. Et ce qui s’y trame ou s’y réalise donne généralement une bonne idée de ce qui nous attend…

Il en est probablement ainsi de la crise politique actuelle qui frappe le gouvernement de Mario Draghi, l’ineffable “Super-Mario” de l’Union européenne (UE) et, surtout de sa Banque centrale (BCE).

Lorsqu’il a quitté la présidence de cette dernière, cet ancien cadre de Goldman Sachs a réussi à s’installer, sous la pression de ses amis de l’UE, au palais Chigi en temps que président du Conseil italien. Comme son prédécesseur, Giuseppe Conte, et comme Emmanuel Macron en 2017, Mario Draghi prétendait dépasser le clivage entre la droite et la gauche en s’élevant au-dessus des partis et en apportant la vision éclairée de l’expert, tout en restant scrupuleusement dans les clous fixés par Bruxelles : orthodoxie budgétaire et néolibéralisme. L’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) a réussi à rassembler toutes les formations italiennes, de la gauche à l’extrême droite, y compris celles qui ont prospéré en s’opposant à ce programme. Il a en effet reçu le soutien conjoint du Mouvement 5 étoiles (M5S) et de la Ligue, deux partis qui, trois ans plus tôt, remportaient les élections législatives sur la promesse de rompre avec l’austérité et de s’opposer aux diktats européens…

Personne ne s’est offusqué de cette démocratie italienne si particulière où les électeurs peuvent voter majoritairement, en mars 2018, contre les politiques de rigueur imposées par Bruxelles, puis, sans même être à nouveau consultés, se retrouver en février 2021 avec un gouvernement défendant ces mêmes politiques. L’histoire de ce retournement est, en réalité, celle d’un drame politique dont nous allons sans doute voir les effets avant longtemps.

La journée de mercredi, au Sénat italien, a été interminable et confuse, jusqu’à son dénouement inattendu : la perte de majorité pour Mario Draghi, à la tête du gouvernement italien depuis un an, cinq mois et six jours. Le lendemain matin, après une courte nuit de sommeil, les acteurs se sont retrouvés au palais Montecitorio (siège de la Chambre des députés) dans une ambiance moins survoltée, mais non sans gravité. Durant une très courte allocution, le président du conseil, Mario Draghi, a annoncé qu’il allait « se rendre au Quirinal pour annoncer sa décision ». Puis, il est parti, souriant et manifestement ému, non sans avoir remercié ceux qui l’acclamaient d’une plaisanterie un peu sentimentale : « Parfois, les banquiers centraux se servent aussi de leur cœur. » Il s’est ensuite rendu au Quirinal pour remettre la démission de son gouvernement. Par une déclaration lue par son porte-parole, le président Mattarella en a « pris acte », ajoutant que dans l’immédiat le gouvernement Draghi restait en place pour expédier les affaires courantes.

L’issue ne faisait plus de doute depuis le vote de la veille au Sénat. Certes, avec 95 oui et 38 non, la motion de soutien à Mario Draghi, qui avait été déposée par le sénateur Pier Ferdinando Casini, a été adoptée. Ainsi le gouvernement qu’il dirige n’a-t-il pas subi l’affront d’être mis en minorité, et pourrait tout à fait, en théorie, continuer ses travaux.

Mais dans le même temps, le total de voix qu’il a obtenu est très en deçà de la majorité absolue théorique (161 sièges). Pis encore, avec la décision de trois des composantes les plus importantes de sa majorité – le Mouvement 5 étoiles (antisystème), la Ligue (droite radicale) et Forza Italia (droite modérée) – de ne pas prendre part au vote, le président du conseil italien peut difficilement ignorer que son gouvernement a cessé d’exister. Pour l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), la crise est consommée.

Paradoxalement, le piège s’est refermé lorsque Mario Draghi a décidé que seule serait mise au vote la motion présentée par le démocrate-chrétien Pier Ferdinando Casini, qui tient en une phrase d’une limpide clarté : « Ayant écouté la communication du président du conseil, le Sénat l’approuve. » Forza Italia, la Ligue et le M5S ayant annoncé leur refus de participer au vote plutôt que de courir le risque de se déchirer ouvertement, l’affaire était entendue et le sort du gouvernement scellé.

Placé une fois de plus au centre du jeu, le président de la République, Sergio Mattarella, semble cette fois contraint à prendre dans les prochaines heures la décision qu’il n’a cessé de repousser depuis des années : celle de dissoudre le Parlement avant la fin de la législature. L’Italie s’engagerait ainsi dans une période de campagne électorale particulièrement complexe, alors que le pays est au bord de la récession, frappé par le retour de l’inflation et la crainte d’une crise énergétique majeure à l’automne. Et qu’à cela s’ajoute une remontée très alarmante du taux des emprunts d’Etat pour une dette de plus de 2 700 milliards d’euros, soit quelque 150% du PIB, le ratio le plus élevé de la zone euro derrière la Grèce (et un spread, le très surveillé écart entre les taux d’intérêt allemand et italien à dix ans, qui a bondi à 245 points, au plus haut depuis deux ans).

Il y a fort à parier que la ligne atlantiste et proeuropéenne qui avait été celle, à marche forcée, de Mario Draghi depuis le début de la crise va exploser en plein vol, balayée par tous ceux qui au fond n’ont jamais accepté la mainmise de la Commission européenne et de la BCE sur la troisième puissance économique européenne, qui fut si longtemps l’une des lumières de l’Occident.

Mais ne trouvez-vous pas déjà quelques ressemblances avec la situation politique de notre propre pays après les deux dernières farces électorales que nous y avons connues ? Et ne voyez-vous pas quelques raisons d’espérer que la voie tant attendue du “Frexit” résulte tout simplement d’une implosion de l’UE que les Français n’auraient pas eu le courage de mettre en oeuvre ?

Jean-Yves Pons

2 thoughts on “Jean-Yves Pons. Nous devrions être très attentifs à ce qu’il se passe au-delà des Alpes. 

  1. Hervé J. VOLTO

    Excellente analyse !

    La folle politique de l’UE pour combattre le soi-disant réchauffement climatique non prouvé par l’homme est une source supplémentaire d’inflation et de gaspillage de ressources dans l’UE. Si l’Italie ou la France s’effondre, suite à une violente crise politique interne ou en raison de la montée des taux d’intérêt à 10 ans, par l’effet de boule de neige, cela peut conduire jusqu’à l’effondrement complet des Bourses et des économies occidentales trop dépendantes et interconnectées, avec à la clé l’éclatement de la zone euro, un envol du prix de l’or, et l’hyperinflation en France, en Italie ainsi que dans tous les pays très fragiles de l’Europe du sud (Grèce, Espagne, Portugal).

    Des circonstances favorable au retour du Roi

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  2. Conseil dans l'Espérance du Roi

    Voici d’ailleurs l’éditorial d’aujourd’hui du “quotidien officiel de la République”, Le Monde ; il dit tout sur la réalité des faits : croyez-vous que les Italiens redoutent l’implosion dont nous parlons dans l’article ci-dessus ? Pas du tout. Les trouillards sont… à Bruxelles, qui voient leurs prébendes menacées : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/21/la-fin-de-l-ere-de-draghi-en-italie-un-choc-pour-toute-l-europe_6135623_3232.html

    Quant aux faits, nous les avions annoncés dès septembre 2019 :

    Alors, attendez-vous à ce que nos économies tanguent fortement avant de s’abîmer dans les flots déchaînés de la prochaine crise financière ( https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2019/08/16/la-crise-financiere-tant-annoncee-pourrait-bien-arriver/ ).

    Car Il ne reste plus, en fait, à des pays comme (l’Italie ou) la France, que le choix de sombrer de deux façons : soit par la fuite en avant monétaire actuelle qui se terminera par des krachs boursiers et obligataires, l’hyperinflation et la situation de l’Allemagne en 1923, soit par la hausse des taux et la fin du laxisme monétaire qui conduira à la récession, à la déflation, au chômage et à un krach mondial, style 1929, infiniment plus violent. Dans les deux cas, ne survivront économiquement que ceux ayant acheté…de l’or et des actifs réels, même si » le pire n’est pas toujours sûr » – Paul Claudel – ” : https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2019/09/17/quand-mario-draghi-et-la-bce-pratiquent-lacharnement-therapeutique/

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