Attentat de Nice: pourquoi les services de renseignement sont démunis face à l’«économie collaborative du terrorisme»

24 juillet 2016 à 14h53

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(Article précédemment paru dans l’Opinion du 17 juillet)

« Ce sont les profils les plus chiants. » Moins de 24 heures après l’attaque de Nice, ce haut responsable français du renseignement confiait sans détour à l’Opinion ses réflexions sur le problème que pose un homme comme Mohammed Lahouaiej Bouhlel, le conducteur du camion qui a foncé et tiré dans la foule, au soir du 14 juillet à Nice.

Alors que des perquisitions étaient toujours en cours, vendredi en fin d’après-midi, cet interlocuteur prévenait : « Il est improbable que l’on ne trouve chez lui aucun lien avec un type lui-même en lien avec des musulmans en voie de radicalisation, tant la porosité est grande entre eux et la petite délinquance. » Le procureur de Paris François Molins a indiqué que l’auteur présumé de l’attentat « était connu des services de police pour des faits de menace, violence, vols et dégradations entre 2010 et 2016. Il est en revanche inconnu des services de renseignement, tant au niveau national que local, et n’avait jamais fait l’objet de la moindre fiche, ou signalement, de radicalisation ».

Mohammed Lahouaiej Bouhlel est donc passé entre les mailles du filet. S’étant « radicalisé très rapidement », comme l’expliquait samedi le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve http://www.lopinion.fr/edition/politique/attentat-nice-selon-bernard-cazeneuve-terroriste-semble-s-etre-106976

il incarne une forme de terrorisme « ubérisé », où chacun peut, de sa propre initiative, participer à une « économie collaborative de la terreur ». C’est le projet de Daech, lorsque son porte-parole Abou Mohammed al-Adnani incite, comme il l’a fait en septembre 2014, à tuer n’importe quel « méchant et sale Français » : « Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec votre voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le. »

Al-Adnani avait simplement oublié le camion frigorifique… « C’est le concours Lépine des idées à la con ! » résume un homme au cœur de l’antiterrorisme. « Même si Daech n’organise pas, Daech insuffle cet esprit terroriste », constate le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.

« Pour l’essentiel, les services antiterroristes sont issus du contre-espionnage ou de la lutte contre le crime organisé », explique le criminologue Alain Bauer. http://www.lopinion.fr/edition/politique/alain-bauer-il-faut-maintenant-trouver-comment-resister-a-l-etat-90644

Ceux-ci partagent une culture et des méthodes propres à combattre des réseaux structurés, pas des individus à la dérive : ces services agissent dans le temps long en prenant garde à conserver un maximum de secret. Même s’il y a des échecs, c’est efficace contre des organisations comme al-Qaïda ou des cellules de Daech.

Selon nos informations, au moins deux attentats ont ainsi pu être évités durant l’Euro 2016, dont une alerte en provenance de l’étranger, le soir de la finale. « S’ils ont finalement échoué, ce n’est pas faute d’avoir essayé », assure un interlocuteur au cœur du dossier. DGSI (sécurité intérieure) et DGSE (sécurité extérieure) sont calibrées pour de telles menaces. « Nous avons déjoué 16 attentats récemment », indiquait samedi Bernard Cazeneuve. Pour sa part, Bernard Bajolet, directeur de la DGSE, a révélé aux députés que son service http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/dgse-a-mene-directement-40-operations-anti-terroristes-2013-106873 a « depuis janvier 2013, contribué à la conception, à la planification et à la conduite de 69 opérations d’entrave de la menace terroriste ». Soit une toutes les trois semaines…

Mais face à un Mohammed Lahouaiej Bouhlel, cela ne marche pas. Il faut d’autres outils et d’autres méthodes. Elles relèvent du renseignement territorial susceptible de détecter des « signaux faibles » : ainsi Bouhlel, qui ne dédaignait pas quelques bières, aurait-il récemment cessé de consommer de l’alcool. Ce n’est qu’un petit clignotant qui s’allume mais qui doit être mis en relation avec d’autres éléments : problèmes psychiatriques, comportement violent, divorce ou conflit avec son employeur, comme l’an passé à Saint-Quentin-Fallavier (38070-Isère) où un homme a égorgé son patron (NDLRB.  Attaque terroriste islamiste perpétrée par Yassin Salhi le 26 juin 2015).

Comme la France, Israël est confronté à ces attaques de « loups solitaires » qui agissent, non pas sur ordre d’une organisation, mais « par inspiration », comme le dit un responsable militaire rencontré dans les territoires occupés. Environ 40 Israéliens ont été tués depuis l’automne dernier par des Palestiniens. Pour tenter de déjouer ces attaques, les services de sécurité et l’armée pratiquent le profilage : « On regarde les problèmes personnels, par exemple le surendettement, le comportement suicidaire, le fait qu’un individu passe de plus en plus de temps au téléphone et qu’il ne dorme plus la nuit. On travaille avec des psychologues et des statisticiens », explique un officier. Des signaux faibles qui peuvent donner l’alerte et permettre une surveillance renforcée.

En France, la détection des signaux faibles a beaucoup souffert de la réorganisation de la sécurité intérieure décidée en 2008, avec la création de la DCRI (devenue DGSI) et la disparition des renseignements généraux (RG). Les efforts policiers ont été concentrés sur le « haut du spectre » de la menace, délaissant la présence sur le terrain, dans le « bas du spectre », là où surgissent un Larossi Abballa en juin (auteur de la tuerie de Magnanville – 78200 – le 13 juin 2016) ou un Mohammed Lahouaiej Bouhlel en juillet.

D’importants efforts ont été entrepris depuis 2014 pour remédier à cette situation mais ils ne sont pas encore tous aboutis. En mai 2014, le ministère de l’Intérieur a créé le service central du renseignement territorial (SCRT), qui équivaut à une renaissance des RG. Ses effectifs, tombés à 1 600, remonteront à 2 650 fin 2017. Son directeur, Jérôme Léonnet, indique que le SCRT consacre 40 % de son activité à la « radicalisation », au travers de 3 600 cas, dont « 700 à 800 dangereux » – « 150 relevant du domaine psychiatrique ».

Ce service n’est toutefois pas compétent à Paris et dans la Petite couronne qui relèvent de la préfecture de police, au travers de sa direction du renseignement de la Péefecture de police de paris(DRPP). Cette spécificité parisienne est « l’élément compliqué », reconnaît une source proche du dossier. À la suite du rapport Fenech, le ministre de l’Intérieur a promis de « préciser le positionnement » de la DRPP. Quant à la gendarmerie, elle possède sa propre sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) http://www.lopinion.fr/edition/politique/general-denis-favier-gendarmerie-aujourd-hui-n-est-plus-cruchot-106696, créée en 2013, pour coordonner l’activité de renseignement dans ses zones, alors que le renseignement pénitentiaire (SRP) opère dans les prisons, hauts lieux de radicalisation.

Faire travailler tout ce petit monde ensemble, ainsi qu’avec la Sécurité intérieure- Direction générale de la Sécurité intérieure -(DGSI) en charge des menaces avérées, est d’évidence la priorité.

http://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/nice-pourquoi-services-renseignement-sont-demunis-face-a-l-economie-107405

Secret Défense

Rien de ce qui est kaki, bleu marine ou bleu ciel ne nous sera étranger Par Jean-Dominique Merchet

 

2 thoughts on “Attentat de Nice: pourquoi les services de renseignement sont démunis face à l’«économie collaborative du terrorisme»

  1. Irène Pincemaille

    Des “loups solitaires”, des agents dormants, le “bas du spectre”, etc… comment faire pour surveiller des millions d’individus qui n’attendent que la 1ère occasion pour passer à l’acte ?
    Á chaque attentat, des hurlements de joie inondent les prisons qui contiennent parfois jusqu’à 90% de mahométans ! des gens qui seront libérés sous peu (merci dame “Tau-Tau” § co). On va leur mettre des bracelets électroniques ? le père Hamel vous “dira” !!! leur efficacité ! on va leur mettre un flic aux fesses 24h/24 ? Impossible n’est-ce pas !
    Voilà où nous ont menés 50 ans et plus d’invasion musulmane incitée et bénie (ô pardon !) par nos politi(c)hiens de tous bords depuis les années 70 !
    Amitiés à vous tous.

    Reply
  2. Hervé J. VOLTO

    Comment tuer les « méchants et sales Français » :

    -Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec votre voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le.

    Nous y sommes.

    comment faire pour surveiller des millions d’individus qui n’attendent que la 1ère occasion pour passer à l’acte ?

    LE ROI ET LE RENSEIGNEMENT

    Comment renforcer le Renseignement?
    1.Développer les moyens de renseignements.
    2. Réunir les conditions politiques du renseignement.
    3. Se donner les capacités d’intervention à l’extérieur.
    4. Organiser la sécurité nationale.

    1. Développer les moyens de renseignement.

    Développer les moyens concrets (trippler le budget de la DGSE et doubler le budget de la DGSI, effort consentit au profit des satélites de reconnaissance, et tous les systèmes d’information et de commendement, ainsi que des moyens d’écoute et d’analyse), crééer un organisme de défense des frontières et de contrôle des populations étrangères (regrouper certaines compétances aujourd’hui Police de l’Air et les Frontières, les ex-RG, l’ex DST et les Douannes), redonner aux RT (ex-RG) leurs compétances en matière de contrôle politique, placer la lutte anti-terroriste sous le contrôle de la DGSI, renforcer la notion de Secret Défense, rétablir les Lettres de Cachet uniquement à usage Royal et uniquement pour les cas de crime de lèse-majesté, d’atteinte à la sureté de la nation, le terrorisme et de tout problème regardant la sécurité du territoire (le Roi s’engagera à n’utiliser en aucun cas les Lettres de cachet pour des affaires de droit commun).

    2. Réunir les conditions politiques du renseignement.

    Prendre en compte les nouvelles menaces (la présence à l’Est de stocks d’armes, la monté de l’islamisme, la migration planétaire de populations non-Chrétiennes), assurer le soutient financier de la politique du renseignement (passer des paroles aux faits, donner plus de moyens humains, technogiues et… financiers à nos services, revaloriser les Fonds Secrets), préserver l’indépendance du renseignement (Le SGDN doit relever directement du Chef de l’Etat et non plus du I° Ministre), honorer les hommes de l’ombre (Bond! James Bond!).

    3. Se donner les capacité d’intervenir à l’extérieur.

    Adapter nos résaux de renseignement à la nouvelle donne stratégique (Nos Services sont très bons au Levant, au Maghreb, et dans certaines parties de l’Afrique, il faut développer un regard vers l’Amérique Latine et l’Asie du Sud-Est), renforcer le service action de la DGSE (Nous possédons d’exellants Commendement d’Opérations Spéciales (COS), Commendos de Recherche et d’Action en Profondeur (CRAP), Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine (RPIMA), commendos de de renseignement des Recherches Humaines et autres Dragons, qui valent bien les Delta Force américains: il faut leur donner plus de moyens, plus de budjet! ), créer une force d’action polyvalente (sur le modèle du Commendement des Opérations Spéciales, créer des Commendos d’Opérations Spéciales pouvant agir indiféremment sur terre, sous la mer et dans les airs, sélectionant les meilleurs marsoins, les meilleurs paras et les meilleurs fantômes des Recherches Humaines), créer une unité fantôme pour le travail « bagnato » si la lutte anti-terroriste sur le terrain recquiert une action directe en situation extrême, ce qui n’exclue pas en tenps ordinaire l’emploi des forces spèciales en uniforme de l’Armée Française.

    4. Organiser la sécurité nationale.

    Réunir le Conseil de la Sécurité Interieure et le Secrétariat Général de la Défense Nationale en un conseil unique dit Conseil de la Sécurité Nationale, CSN rattaché directement et exclusivement au Chef de l’Etat, modifier la directive « Télévision sans Frontière » afin d’y inclure une disposition relative à la lutte contre la propagande terroriste, cette exigence technologique s’appliquant tout particulièrement aux communication électroniques, certaines données techniques doivent pouvoir être transmises plus rapidement au services spécialisés. Et, surtout,créer un organisme de contrôle des frontière et de contrôle de populations étrangères (à l’image du service des douannes, à renforcer, regrouper certaines compétances aujourd’hui Police de l’Air et les Frontières, les Renseignements Teritoriaux (ex-Renseignements Généraux), la DGSI et les Douannes volantes, avec mission de rendre les fontières étanches à l’immigration clandestine et de controler les étrangers présents sur le territoire national).

    PS : merci à Jean Réno d’avoir rendu hommage à nos officiers traitants dans « Godzilla »…

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