Allocution du Dimanche 10 MAI 2015, lors de la Fête nationale de Jeanne d’Arc à Lille

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Statue de Jeanne d’Arc, oeuvre de la princesse Marie d’Orléans (1813-1839) , devant le perron dans la cour de l’hôtel Groslot à Orléans.

Jeanne d’Arc, l’héroïne et la sainte de la Patrie

… Il est bon de rappeler ici et aujourd’hui, les dates qui marquent les étapes de l’établissement de la fête nationale de Jeanne d’Arc en France et en parallèle les étapes qui ont été suivies par l’Église catholique pour une reconnaissance de la sainteté de Jeanne d’Arc.

Redécouverte de Jeanne d’Arc au XIXe siècle

Friedrich von Schiller composa une tragédie « Die Jungfrau von Orléans », jouée à Leipzig en 1801, mettant en scène une Jeanne d’Arc guerrière pendant la Guerre de Cent Ans. Cette pièce de théâtre eut un succès extraordinaire à travers toute l’Europe. Cela réveilla en France la passion pour Jeanne oubliée pendant la révolution.

Jeanne d’Arc connaît alors son âge d’or avec l’Empire et la Restauration des Bourbon qui épanouissent son mythe mêlé à celui du « patriotisme moderne », la gauche s’approprie sa figure romantique de fille du peuple trahie par le roi et brûlée par l’Église, tandis que la droite loue la ferveur catholique et monarchique de la Pucelle.

En 1841, l’historien Jules Michelet publie un livre, intitulé « Jeanne d’Arc », et fait entrer cette jeune femme dans la catégorie des héros incarnant le peuple. Il appuie son argumentation sur les origines modestes et provinciales de Jeanne, son absence de culture savante, la naïveté de sa pratique religieuse, son bon sens qui empêche de la ranger dans le camp des illuminés, ses instants de doute et de faiblesse… Jeanne d’Arc, en s’imposant à ses capitaines par son exemplarité, en réalisant l’unité autour de sa personne, est à l’origine d’une des étapes décisives de la construction de la France. « Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie chez nous est née du cœur d’une femme, de sa tendresse et des larmes, du sang qu’elle a donné pour nous. »

Selon Michelet, cet historien athée, Jeanne est une véritable sainte laïque qui a donné sa vie pour le bien de tous.

Meilleure connaissance de la vie de Jeanne d’Arc (1849)

Les événements auxquels Jeanne d’Arc prit part et qui constituent la trame de son histoire : la levée du siège d’Orléans le 8 mai 1429, la victoire foudroyante sur l’armée anglaise à Patay le 18 juin, le couronnement du roi Charles VII à Reims le 17 juillet, enfin la mort de la Pucelle sur le bûcher de Rouen le 30 mai 1431 – étaient dans l’ensemble connus.

Mais la personne même de Jeanne, les circonstances précises de sa mission, n’ont été révélées que lorsque Jules Quicherat a, pour la première fois, publié dans son ensemble, en cinq volumes, les textes en latin des deux procès, suivis des extraits de chroniques et de pièces annexes ; cette publication n’a été terminée qu’en 1849. On ne sait pas assez, qu’alors seuls pouvaient avoir une connaissance personnelle de Jeanne d’Arc ceux qui avaient eu en mains les manuscrits de ces procès.

Il paraît évident que c’est en conséquence de cet effort de publication qu’en 1869 l’évêque d’Orléans, appuyé par plusieurs autres membres de l’épiscopat français, déposait à Rome la demande de canonisation de Jeanne.

Projet d’une loi instituant la fête de Jeanne d’Arc (1884)

Or on va voir se développer parallèlement un courant d’enthousiasme, celui-là tout laïque et indépendant de la ferveur religieuse, envers Jeanne d’Arc. Et de ce courant, l’animateur fut Joseph Fabre. Député radical, il prend en 1884 l’initiative d’une loi en vertu de laquelle « la République française célébrerait annuellement la fête de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme ». L’auteur de la proposition en a ainsi énoncé l’objectif : « Jeanne d’Arc n’appartient pas à un parti. Elle appartient à la France ». Joseph Fabre ajoutait : « En Jeanne d’Arc se personnifie la seule religion qui ne comporte pas d’athées : la religion de la patrie ».

Bien que 250 députés de tous bords l’aient appuyée, la proposition ne fut pas retenue, en raison de l’état d’esprit de division qui régnait alors.

Vote au Sénat du projet de loi (1894)

Sans se décourager, Joseph Fabre, devenu sénateur, présente à la Haute Assemblée la proposition de loi déposée neuf ans plus tôt devant la Chambre des députés.

A une large majorité (188 voix contre 21), cette proposition de loi est adoptée. Elle est ainsi rédigée :

  • Article 1er – La République française célèbre annuellement la fête de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme.
  • Article 2ème – Cette fête a lieu le deuxième dimanche de mai, jour anniversaire de la délivrance d’Orléans.
  • Article 3ème – Il sera élevé en l’honneur de Jeanne d’Arc, sur la place de Rouen où elle a été brûlée vivre, un monument avec cette inscription : « A Jeanne d’Arc, le peuple français reconnaissant ».

Début de la reconnaissance de Jeanne d’Arc par l’Eglise (1894)

Dans le même temps, sur une première étude des dossiers, le pape Léon XIII, en 1894, proclamait Jeanne « vénérable », ce qui constituait la première étape vers une canonisation que réclamaient alors 95 archevêques ou évêques – dont 25 anglais au nombre desquels on rencontre les grands noms de Newman et de Manning. Les presses de l’imprimerie Vaticane avaient commencé dès lors à publier les enquêtes de ce dernier procès de Jeanne, lesquelles devaient constituer en fin de compte dix-sept volumes in-quarto.

Institution de la fête laïque de Jeanne d’Arc (1920)

Malgré l’obstination du Sénat, cette loi resta lettre morte. En effet, les lois de séparation de l’Église et de l’État provoquaient, dans les premières années de notre siècle, l’agitation que l’on sait. Et Joseph Fabre, retiré de la vie politique, constatait, non sans amertume, à la veille de la guerre de 1914, que son projet n’avait toujours pas abouti. L’Église avait béatifié Jeanne le 18 avril 1909, mais la fête laïque, nationale, patriotique dont il rêvait n’était toujours pas instituée. Il ne perdait pas espoir cependant : « Le temps est proche, écrivait-il en 1912, où tous les Français comprendront enfin que sectes et partis doivent, certain jour du mois de mai, consentir une trêve civique pour célébrer l’indépendance et la grandeur françaises. »

Et de nombreuses tentatives connurent le même sort jusqu’à l’intervention en avril 1920 du député Maurice Barrès, président de la Ligue des Patriotes. Il relança la proposition de loi, appuyé par 284 députés, majoritairement des membres de l’entente républicaine et démocratique, plus 19 radicaux, dont Edouard Herriot et 24 indépendants mais aucun socialiste.

Citons l’exposé des motifs très explicites de cette proposition, de Maurice Barrès : « Jusqu’à cette heure, nous n’avons pas vu aboutir l’institution d’une fête de Jeanne d’Arc. Pourquoi ? Disons-le franchement, il restait un doute dans certains esprits. Quelques-uns craignaient que la fête de Jeanne d’Arc ne fût la fête d’un parti.

Il n’y a pas un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique ou philosophique, dont Jeanne d’Arc ne satisfasse les vénérations profondes. Chacun de nous peut personnifier son idéal. Etes-vous catholique ? C’est une martyre et une sainte que l’Eglise vient de mettre sur les autels. Etes-vous royaliste ? C’est l’héroïne qui a fait consacrer le fils de Saint-Louis par le sacrement gallican de Reims. Rejetez-vous le surnaturel ? Jamais personne ne fut aussi réaliste que cette mystique : elle est pratique, frondeuse et goguenarde, comme le soldat de toutes les épopées ; elle a ses lèvres toutes fleuries de ces adages rustiques qui sont la sagesse de nos paysans ; elle incarne le bon sens français. Pour les républicains, c’est l’enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies, et les révolutionnaires eux-mêmes, en 1793, décorèrent de son surnom, « la bergère », le canon fondu avec le métal de la statue d’Orléans. Enfin, les socialistes ne peuvent pas oublier qu’elle disait : « Les pauvres gens venaient à moi volontiers parce que je ne leur faisais pas de déplaisir », et encore : « J’ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux ».

Et Maurice Barrès de conclure : « Ainsi, tous les partis peuvent se réclamer de Jeanne d’Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer ».

Cette idée sera encore plus explicite dans le rapport sur la proposition de loi signée par le député Félix Gaborit : pour la première fois dans un texte parlementaire la canonisation de Jeanne d’Arc est invoquée comme un argument pour un texte de loi : « Les deux grands courants de la pensée et de la conscience modernes demandaient la glorification de l’héroïne : la pensée libre au Parlement ; la foi, au Pape ».

Ainsi, ce texte de loi, signé en 1884, puis défendu en 1894, par nombre de députés puis de sénateurs de gauche dans le but d’instaurer une fête civile et laïque de Jeanne d’Arc comme figure emblématique de la République, afin de ne pas laisser à l’Eglise le monopole de son culte, allait devenir, sous la « Chambre bleu horizon », une entreprise d’union nationale, largement soutenue par la droite.

Le vote de la loi eut lieu, le 24 juin 1920, un mois après la canonisation par l’Eglise de sainte Jeanne d’Arc. Il n’y eut pas de débat : la proposition de loi fut adoptée par un vote à main levée.

Et c’est probablement le paradoxe suprême de cette sainte éminemment paradoxale, que d’avoir ainsi réconcilié en notre temps, par deux démarches distinctes mais convergentes, l’Église et l’État.

Conclusion, Jeanne d’Arc et l’unité

En guise de conclusion, citons les propos de Mgr Defois, Evêque émérite de Lille, de retour des Fêtes Johanniques 2012 à Orléans :

« Venu aux fêtes de Jeanne en 1995, j’ai retrouvé avec bonheur ce moment extraordinaire d’une fête de joie et de soleil où la population d’Orléans et de la région se retrouve en une célébration civile et religieuse, en une communion sans frontières.

La même joie nous unissait dans le six centième anniversaire de la naissance de Jeanne. Car au-dessus de cette immense nef colorée d’uniformes et de drapeaux de toutes couleurs, de hardes médiévales et de costumes de ville, Jeanne nous dominait, drapée dans son oriflamme au sommet de l’abside elle semblait nous appeler à de nouveaux combats. Jusqu’à ce chant victorieux de liberté retrouvée et de courage renouvelé qui nous lançait vers d’autres épopées : “Étendard de la délivrance… il prêche l’espérance.”

Il est bon de rêver le passé pour ensemencer l’avenir. D’abord, l’exemple de ces édiles il y a peu concurrents, mais qui tenaient le même langage en écho à l’audace de Jeanne. Espérant contre toutes les évidences, bravant les faiblesses et les médiocrités, Jeanne a su se lever, ne pas se résigner, rallier ceux qui se repliaient sur leurs petites sécurités. Les défis furent pour elle des voix de résistance, de liberté et de foi en cette voix qui l’élevait au-dessus de la mêlée des clans et des passions stupides.

En parcourant les rues en cette aimable promenade à mi-chemin de la piété et du folklore, les uns et les autres se souriaient, s’applaudissaient en une cordiale connivence, celle d’une fraternité d’espérance. »

lesamisdejehanne@free.fr

2 thoughts on “Allocution du Dimanche 10 MAI 2015, lors de la Fête nationale de Jeanne d’Arc à Lille

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