Souvenirs d’Algérie (2019) de la seconde Orante de la Charte de Fontevrault; Ariane Laballe

Algérie : vendredi 26 avril – lundi 6 mai 2019 :

impressions de voyage/pèlerinage

Le triple plaisir du voyage :
L’attente
L’éblouissement
Le souvenir…
(lu sur un panneau publicitaire, à Alger)

La genèse : tout a commencé par l’annonce de la béatification des 19 martyrs, dont les 7 moines de Tibhirine, le 8 décembre 2018. Le diocèse de Blois a dédié l’année en cours à Frère Christophe (Lebreton) https://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_Lebreton  qui était originaire du Loir-et-Cher et avait des attaches à Vendôme.Un petit groupe de Montoiriens devait se rendre en Algérie à cette période-là mais les visas n’étant délivrés au compte-goutte qu’aux familles des victimes, la chose n’a pas été possible.
C’est Philippe Chereau-Martin de Montoire qui, accompagné de ses deux sœurs Marie-Christine et Marie-Cécile, a monté toute cette expédition, car c’en fut vraiment une! A l’origine, ce qui l’a motivé, lui, c’était de suivre les traces d’un arrière-arrière… grand-oncle, parti coloniser un petit coin de terre à Sidi Chami, du côté d’Oran, dans les années 1850. La béatification a été l’élément déclencheur pour organiser ce déplacement auquel nous nous sommes greffés, l’occasion faisant le larron.

Pourquoi l’Algérie, cette destination singulière? Claude ( NDLRB.Claude Laballe  Le mari de la signataire de ces lignes , Gouverneur  (2015-2018) de la Charte de Fontevrault) avait 5 ans lorsque, avec sa maman et son frère Julien, il a rejoint son père alors en stage d’ENA à Alger. En pleine guerre, une vraie folie ! L’enfant qu’il était a conservé pour seul souvenir le parfum odoriférant des orangers.

Pour ma part, c’était l’attrait de fouler le pays de saint Augustin au temps lointain d’une Afrique du nord chrétienne et de me rapprocher -façon de parler- du Hoggar de Charles de Foucauld, mon premier amour spirituel. L’Algérie a influé sur le destin de ma famille : nous avons émigré en 1958 au Québec car mon père, insoumis, ne voulait pas partir faire son service militaire là-bas.

Pour Claude et moi enfin, c’était l’envie de visiter une sorte de « terra incognita » touristique, aimantés par la tragédie qui s’est nouée dans le Haut-Atlas le 27 mars 1996. https://fr.wikipedia.org/wiki/Assassinat_des_moines_de_Tibhirine C’est le sang des martyrs qui nous a conduits dans ce périple algérien.

Sur ces entre-faits, l’Algérie a commencé d’être secouée chaque vendredi depuis février par un soulèvement social à l’image de nos « gilets jaunes ». Une lame de fond précipitant dans les rues la moitié de la population. Eu égard la violence de la « décennie noire », était-ce bien prudent de se rendre là-bas ? D’aucuns ont abandonné le projet; d’autres étaient inquiets de nous savoir partir. Nous, pas.

Dernier fait à signaler en introduction: nous avons été étonnés par l’intérêt suscité par notre équipée auprès de notre entourage ayant des liens proches ou lointains avec ce pays qui fut français de 1830 à 1962 : Annie, Jacques, Marie-Jo, Paulo, Jean-Claude, Louis, Marie-Pierre, Flo et les autres…

Le vendredi 26 avril, visa en poche depuis l’avant-veille (sic), nous sommes donc onze sur la ligne de départ, dont deux pieds-noirs (les deux Gilles), Marcel qui y a fait son service militaire pendant les événements : beaucoup d’émotions pour nos trois compagnons effectuant-là un pèlerinage aux sources. Parmi nous également, Françoise qui est allée là-bas dans le cadre de son activité professionnelle. Bénis à Montoire par le père Jean-Claude, nous pouvons larguer sans crainte les amarres…

Marseille et Notre-Dame de la Garde, la « Bonne Mère », aperçue de nuit fut notre première étape. Le samedi 27 avril, par un soleil étincelant, nous prenons la mer pour 20 heures de traversée (avec mal de mer pour la pauvre Nathalie), marquées par les premiers échanges avec les Algériens, très cordiaux, nostalgiques de la présence française. nous souhaitant tous « bienvenue ». Leitmotiv durant tout notre séjour. Des hommes jeunes en majorité faisant pour la plupart de l’import-export ou des retraités rentrant au pays; d’aucuns dormant à même le sol, au mieux dans des transat. Nous, les privilégiés, partageons notre cabine au confort très sommaire avec Nanik Rétat, une « baroudeuse » de 81 ans, coutumière des voyages au long cours entre Liban et Terre Sainte. Elle a même crapahuté dans la Casbah en pleine guerre,( Evénements d’Algérie)  protégée par l’inconscience de la jeunesse!

Au petit matin du dimanche 28 avril, je me faufile avec Don Gilles au poste de vigie depuis lequel la « ville blanche » s’offre à nos yeux émerveillés. Les fameuses arcades du quartier de la Pêcherie, la grande mosquée construite par l’ex-président Bouteflika (la 3e au monde en terme de grandeur) et différents édifices emblématiques qu’on me désigne : une arrivée royale! Passée la douane où nous sommes les seuls étrangers, faisons la connaissance de Darhman, notre guide au prénom imprononçable qui se révélera rapidement plus un « protecteur » qu’un véritable informateur sur les us et coutumes locales, assisté du chauffeur de notre mini-bus : Kamel, un as du volant. Palmiers, palmiers-dattiers, bougainvilliers pour premier contact avec cette terre nord-africaine. Direction notre hôtel situé dans les hauteurs d’Alger avec vue imprenable sur la baie et les néfliers (forts tentants mais les fruits n’étaient pas encore mûrs) depuis la terrasse où nous prenons moult photos. Magie des commencements.

Après une visite véhiculée à travers la ville via la place des Martyrs pour une première vue d’ensemble, découvrons le quartier résidentiel d’Hydra, siège de nombreuses ambassades. Près du quartier de Bab-el-oued, grimpons une route sinueuse pour rejoindre Notre-Dame d’Afrique qui surplombe le quartier Saint-Eugène au nom évocateur pour les anciens de l’Algérie française. La cathédrale élevée au rang de basilique a été érigée en 1857 à la suite de la définition du dogme de l’Immaculée Conception. Deux chapelles dédiées, l’une à saint Augustin (abritant des reliques du saint et du bienheureux Ch. de Foucauld), l’autre à sa mère  Sainte Monique qui avait tant prié pour sa conversion. Au-dessus de l’autel, une prière « Notre Dame d’Afrique priez pour nous et pour les musulmans » inscrite en français, arabe et berbère. Nous sommes extrêmement surpris car de nombreux jeunes musulmans se pressent (comme c’est le cas tous les jours, paraît-il) à l’intérieur de l’édifice, vivement intéressés par les commentaires du guide ou les nôtres. Tous attirés par Marie, alias Myriam. A l’extérieur, la statue de Mgr Lavigerie, fondateur des pères blancs et des sœurs blanches, en cours de restauration.

Puis, en fin d’après-midi, on nous lâche dans un quartier proche de l’église Notre-Dame de Lourdes où, après avoir dégusté un thé à la menthe et nos premières pâtisseries orientales, nous assistons à la messe en cette fête de la Miséricorde. Beaucoup de jeunes étudiants sub-sahariens (comme ils seront qualifiés à plusieurs reprises durant notre séjour), des migrants, quelques français, une poignée de convertis de l’Islam, en chemin. Une toute petite communauté paroissiale, mais bien vivante semble-t-il, dynamisée par la jeunesse de ses rangs.

Lundi 29 avril : en route pour Tipaza, croisons le tombeau de la Chrétienne, énigmatique mausolée royal de Maurétanie datant de l’époque numide. Alentour, des serres à perte de vue où l’on cultive les primeurs et des vergers (citronniers, orangers, etc), des oliviers. Des immeubles tentaculaires viennent miter cet ancien Eden, construits par les Chinois très (trop) présents en Algérie.
Soudain… surplombant la grande bleue, surgit le site enchanteur de Tipaza semé d’oliviers sauvages, de térébinthes et de vestiges romains : temple, forum, théâtre. Déambulons via les voies Decumanus et Cardo jusqu’à l’ancienne basilique pavée de mosaïques et la nécropole. Là, se dresse une stèle dédiée à Albert Camus qui affectionnait ce lieu, gravée d’une phrase extraite de « Noces » : « Ici, je comprends ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure ». Repas au port avec au menu dorade grillée au feu de bois. De retour, j’apprends pour la 1ère fois par la voix de mon beau-père (91 ans) que la famille Laballe s’est baignée à Tipaza en l’an de grâce 1957 !

L’après-midi est consacré à la visite de la Casbah, qui signifie « prison » ou « citadelle » en arabe. C’est ici la vieille ville, ou medina. Quartier historique bâti sur les ruines de l’ancienne colonie fondée par les Romains, Icosium. Théâtre notamment de la « bataille d’Alger ». Inénarrable et indescriptible. Visite emmenée par un guide, prosélyte du FLN selon certains, qui nous entraîne dans un dédale de ruelles étroites, crasseuses au possible, cernées de maisons à colombages magnifiques mais hélas bien délabrées, menaçant ruine pour certaines. Chef d’oeuvre en péril. Tout le périmètre est classé au Patrimoine mondial de l’Unesco mais souffre de travaux urgents de réhabilitation qui tardent à se faire. Des subventions auraient été octroyées, mais qui sait ? peut-être détournées. Des étais s’efforcent de maintenir debout ces trésors d’architecture datant de plusieurs siècles. On nous parle d’un partenariat avec la région Ile-de-France, de la récente visite de Valérie Pécresse et de l’architecte Jean Nouvel auquel la « revitalisation » aurait été confiée… Visitons sa demeure avec patio dans le plus pur style mauresque envahie de chats; un hammam. Dépaysement total. Traversons les souks où s’activent les artisans, puis gagnons la basse ville où nous pénétrons dans un ancien Palais de Dey et admirons les azuleros (carreaux de faïence) ainsi qu’une exposition d’enluminures. Puis on nous dépose pour un temps libre près de l’ancienne Poste, pur fruit de l’époque coloniale, non loin des boulevards hausmanniens où faisons quelques achats pour un paquet de dinars, trois fois rien convertis en euros !

Mardi 30 avril : nous partons au sud d’Alger pour le monastère de Tibhirine via Blida. Auparavant faisons une étape émouvante pour Don Gilles, prêtre de la Communauté Saint-Martin (à Evron, Mayenne), ancien curé de Montoire qui retrouve, soixante ans plus tard, l’école, le village de son enfance où l’église a été transformée en mosquée (comme c’est le cas partout), ce qui reste du domaine familial où l’on cultivait quelque 300 hectares de vignes et d’orangers dans la plaine de la Mitidja, une ancienne zone marécageuse asséchée par les Français, des moines cisterciens notamment experts en la matière. De vignes, que nenni aujourd’hui, Islam oblige ! Nous sommes accueillis par les actuels habitants des lieux, des femmes qui permettent aimablement au groupe de circuler dans la demeure dont la structure intérieure reste inchangée, mais les extérieurs sont fortement dégradés. Les retours sont parfois douloureux : Don Gilles hésite à envoyer des photos à sa maman…
Nous reprenons la route, traversant une région escarpée, quasi-désertique, l’Atlas… tellien préciseront les « pros », puis des gorges creusées par l’oued de la Chiffa peuplées de singes en liberté, attraction locale. Cigognes et nids de cigognes nous enchantent. Arrivons à Médéa, ça sent le « far ouest » avec des maisons de briques en perpétuel chantier, la pauvreté nous saute aux yeux, nous croisons des femmes le visage cachée par de jolies voilettes brodées; atteignons le fameux monastère située à 1000 m d’altitude. Silence dans les cœurs, faisons mémoire… Avons tous en tête le film « Des Dieux et des Hommes » relatant l’histoire de ces trappistes qui, menacés depuis 1993 par le GIA, choisiront de rester car « on ne quitte pas un ami lorsqu’il est malade », écrira Christian de Chergé. Le 27 mars 1996, en pleine nuit, les terroristes enlèvent sept moines dont on retrouvera les têtes deux mois plus tard. Leurs tombes creusées par leurs amis du village voisin invitent aujourd’hui au recueillement au fond du parc.

Les montoiriens Elisabeth et Guy Chevereau ont effectué comme volontaires deux séjours de un mois (cf « Loir » de juillet-août 2018) pour prêter main forte à la petite communauté religieuse du Chemin-Neuf qui a repris courageusement le flambeau depuis 2016. Sa vocation? Cultiver la prière et le domaine agricole qui emploie des autochtones. Et pratiquer le dialogue inter-religieux en ouvrant les portes à tous : chaque semaine, touchés par cet épisode de leur histoire nationale, quelque 100 à 150 visiteurs (musulmans à 95%) viennent profiter de la beauté verdoyante du site procurée par la source baptisée « Notre Dame de Tibhirine », laquelle jaillit des profondeurs d’une faille tectonique, 13° quelle que soit la saison. Un lieu d’échanges où la foi unit au lieu de diviser!

Les hommes de notre groupe ont cette grâce émouvante de dormir dans les cellules des martyrs; quant à nous tous, en compagnie de la communauté mixte composée de 5 religieux, nous dînons et partageons nos expériences dans la salle à manger, ancienne salle capitulaire à l’heure de l’angoisse pour les moines. Avons vu deux « portes » chargées de symboles : la première au rez-de-chaussée, par laquelle a surgi un terroriste ; l’autre à l’étage, qui a été miraculeusement fermée suite à un clin d’oeil jeté par un captif, permettant de sauver la vie de retraitants et des deux autres moines de la communauté se trouvant là…
En ce jour de la solennité de Notre-Dame d’Afrique, patronne de cette terre, nous écoutons l’exposé du prieur, le frère Yves, ex-vétérinaire, qui retrace l’épopée cistercienne remontant à 1938. Un siècle auparavant, les colons, premiers propriétaires du domaine, cultivaient la vigne, d’où la présence de fragments d’anciennes cuves à vin dans l’actuelle église. Par la suite, la viticulture sera abandonnée au profit de la polyculture employant jusqu’à 80 ouvriers agricoles avant que le « régime socialisant à partir de 1962 » ne réduise l’exploitation de 374 ha à 14 ha! Le prieur évoque le souvenir du dispensaire de frère Luc, du jardin de frère Christophe; l’insécurité et la pauvreté sévissant pendant la « décennie noire » (1990-2000). Il est témoin de changements survenus depuis la cérémonie de béatification avec ces gestes de fraternisation inter-religieuse qui ont marqué les esprits, ajoutés au récent soulèvement social : « On sent une soif, une respiration, une ouverture des Algériens. Les jeunes surtout se posent beaucoup de questions, entre ce que vivent leurs parents, l’Islam de la Paix, et les émissions visionnées sur You Tube. Ils voient que quelque chose ne colle pas. D’où de gros questionnements et un athéisme qui progresse, dus au ras-le-bol !». Nous apprenons par ailleurs que « la loi de l’oubli » décrétée par le gouvernement après la décennie noire n’a pas permis d’évacuer la souffrance. Elle a juste mis un mouchoir dessus. L’Algérie est à l’initiative de la « journée internationale du vivre-ensemble » instituée dorénavant tous les 16 mai.

Mercredi 1er mai : fête du Travail : ici comme ailleurs des manifestations de rue sont à l’ordre du jour. Nous sommes dans un régime policier, on ne pourra pas l’oublier! L’escorte entre en piste lorsque nous quittons le monastère. Elle ne nous lâchera plus jusqu’au terme de notre séjour, facilitant –au mieux– nos déplacements dans les embouteillages à l’aide du gyrophare ; mais le plus souvent, entravant notre programme de visites et contrariant le choix de nos itinéraires. Pauvre « Sidi Philippe », notre chef de groupe abonné aux nombreux quarts d’heure de « salamalec » avec notre accompagnateur pour… au final, devoir obtempérer aux ordres, venant de plus haut.
En clair, nous nous faisions une joie de longer la corniche pour rallier Oran, dans le nord-ouest algérien. C’est l’autoroute qui nous est servie sur quelque 400 km, avec relève d’escorte à chaque changement de wilaya (département). Et des attentes parfois prolongées sur des bords de route improbables… Nous avons pris notre mal en patience, prenant conscience de la réalité du pays et de désagréments faisant totalement partie du folklore local!
Faisons un petit crochet par Mostaganem, effectuant un tour rapide par le centre-ville et les souks plus riches en articles « made in China » qu’en artisanat local. Auparavant, cherchons à visiter une mosquée du XIVe siècle répertoriée dans le « Petit fûté », seul guide disponible. Scène burlesque au possible : celle de nos accompagnateurs interrogeant les gens du cru pour localiser ce fameux édifice que… nous ne verrons d’ailleurs jamais ! « T’as voulu voir Vezoul et t’as vu Vierzon»… Allons pour terminer nous promener sur le front de mer, promenade fort prisée par les anciens colons, dixit nos pieds-noirs.  
Passons la ville de Mazagran (d’où le vocable donné à l’objet en question, tout comme bougie). En fin de soirée, parvenons, non sans mal, à destination. Banlieue d’Oran avec ses stockages de gaz et de pétrole. Le sous-sol algérien est riche, mais la manne n’est pas distribuée équitablement. Parvenons non sans peine à l’hôtel où l’on accède par une route non goudronnée. Tout est de guingois, ça râle dans les rangs des Montoiriens. Nous plierons bagage le lendemain pour un très bon point de chute dans le centre-ville.

A l’aurore, j’entends mes premiers appels à la prière, je suis sensible au lamento des muezzins. Par la suite, je n’en raterai jamais un seul.

Avant de lever le camp, échangeons autour de la crise politique avec le patron de l’hôtel qui parle d’un mouvement non-violent, auto-discipliné; d’un peuple qui veut en finir avec ce régime corrompu, d’une détermination de renverser le pouvoir qui ne faiblira pas avec le Ramadan. A partir de ce jour, achetons le quotidien « El Watan » dont nous apprécierons le ton, dénué de langue-de-bois. Ce pays peuplé de jeunes en majorité a soif d’ouverture !

Jeudi 2 mai : Oran donc. Découvrons cette ville portuaire qui a subi deux vagues d’invasion, espagnole et ottomane, direction le cœur de la ville, place des Deux-Lions (ex-place d’Armes). Notre guide ne souhaite pas que nous nous aventurions dans la medina ou la casbah locales car c’est dangereux, précise-t-il. Arpentons le Palais ottoman passées quelques ruelles où, manifestement, il ne doit pas faire bon se promener seul. Pour la première fois, percevons une certaine hostilité sur notre passage. De sérieux travaux de restauration et toilettage s’imposent : ils devraient être réalisés car Oran va accueillir des jeux méditerranéens en 2021.
Rencontrons ensuite Père Modeste, un prêtre rwandais du diocèse de Versailles, curé de la paroisse Sainte-Marie en l’église où s’est déroulée la veillée de prières précédant la béatification, toujours visible sur KTO. Un punch à déplacer les montagnes. A-t-il beaucoup de fidèles ? « On n’est pas ici pour faire du chiffre ! ».
Nous nous recueillons sur la tombe de Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran qui a perdu la vie avec son chauffeur musulman dans l’explosion d’une bombe déposée devant son évêché le 1er août 1996. « Quoi de plus fou que d’aller au-devant de la mort sans autre équipement qu’un amour désarmé et désarmant qui meurt en pardonnant », écrivait celui qui avait voué son existence au dialogue inter-religieux et invitait les chrétiens « à sortir de leur bulle ». Au cours de l’eucharistie qui suivra, l’homélie de l’actuel évêque Jean-Paul portera sur leur présence en ce pays où l’on ne reconnaît pas le Christ et où la majorité ne le connaîtra jamais. Mystère qui nous dépasse.

Repas de poissons à la Pêcherie, du côté du port. Temps libre l’après-midi. Découvrons avec enchantement la gare style « Art nouveau ». Dans le jus, avec des guichets en bois. Le temps s’est arrêté, on se croirait dans un film « noir et blanc ». Idem à la grande poste où Ben Bella a commis son hold-up en avril 1949. Dans l’ancienne cathédrale transformée en bibliothèque où règne un sacré tintamarre, stalles et autel toujours en place sont maculés de déjections de pigeons. Emplettes. Souks où nous achetons dattes et olives.

Vendredi 3 mai : jour de Ramadan et de manifestation comme chacun sait, on en subira les conséquences avec un programme totalement bouleversé. Partons pour Tlemsem, ville frontalière avec le Maroc qui mêle des influences berbères, arabes, andalouses, ottomanes et françaises. En route, paysage de collines avec troupeaux de moutons gardés par des bergers; ici ou là les tombeaux de marabout, à l’architecture caractéristique.

Passée la messe célébrée par Don Gilles dans le petit oratoire du père Gérard, un dominicain (qui était secondé par le passé par frère Christian, recteur de l’Oratoire de la Sainte-Face de Tours, que je connais bien -le monde est petit!), nous visitons aux portes de Tlemcem, le site de Mansourah, «victorieuse » en arabe, ancienne citadelle avec mosquée datant du XIVe siècle, témoin des affrontements fratricides entre tribus. Là comme ailleurs, séance-photos avec de jeunes algériennes, toujours très ouvertes, coquettes, portant foulard comme la plupart, avec lesquelles nous échangeons quelques mots.
Un guide vêtu d’un djellaba -vendredi oblige- nous accompagne, discourant sans plus finir sur les différents courants de l’Islam. Inénarrable là encore. On nous conduits sur le plateau rocheux de Lalla Setti, une ermite nous dit-on, depuis lequel on domine la ville à 1000 m d’altitude.Superbe panorama. Repas dans un parc de loisirs très fréquenté en ce « dimanche » pour les musulmans, avec menu habituel de brochette/vraies frites/salade servi à… 15h30, ramadan oblige, car le cuisinier doit attendre la fin de la prière pour se mettre aux fourneaux.
On apprend qu’il y a une grande manifestation en centre-ville ; l’escorte nous en éloigne donc, nous dirigeant pour une visite rapide dans la vieille ville, en un lieu très prisé des religieux car il s’y trouve les tombes de saints musulmans. Beaucoup, des femmes notamment superbement vêtues, se recueillent dans ce très beau sanctuaire. Là encore, nous ne serons pas autorisés à pénétrer dans la mosquée. Séance ablutions juste entrevue. Dommage.

Samedi 4 mai : Jour « j » pour Sidi Philippe et les siens car nous partons en matinée sur les traces de la concession de l’arrière-arrière… à Sidi Chami, banlieue d’Oran. Don Gilles est à la manœuvre avec son GPS. Mais, las, limite de la technologie : débarquons dans un endroit qui se révélera ne pas être le bon. Qu’importe, échangeons avec quelques habitants, très avenants comme toujours. Dans un décor habituel avec maisons en briques jamais crépies et poutrelles pour étages jamais construits, pour éviter de payer des impôts dit-on. Scène mémorable de ce vendeur de sardines avec son étal ambulant, joie de vivre personnifiée, balançant des sardines à une nuée de chats faméliques pour éviter qu’ils ne prennent d’assaut son convoi! Qu’à cela ne tienne : les Chereau-Martin réitéreront le lendemain avec un taxi qui les mènera à bon port où ils seront reçus comme des princes. L’autre Gilles est parti de son côté sur les traces de son passé, à Port-aux-Poules. Son expérience sera plutôt contrastée. Retour décevant.

Filons pour la chapelle Santa-Cruz où a eu lieu la cérémonie de béatification des 19 victimes du terrorisme. Située sur le massif de l’Aïdour surplombant la ville, cette réplique de Notre Dame de Fourvière a été érigée suite à l’arrêt de l’épidémie de choléra de 1849. La messe sera suivie d’un repas partagé avec les paroissiens, dont des étudiants boursiers, originaires de différents pays africains, des membres de communautés religieuses, etc. A mes côtés, Annie, professeur à la retraite, installée ici depuis dix ans. Elle m’apprend que l’usage de notre langue se perd auprès des jeunes générations, faute de professeurs français comme c’était le cas par le passé, et d’heures de cours en nombre suffisant. C’est aussi la conséquence de l’Arabisation, politique volontairement menée par le gouvernement en place. Cette dame me désigne un prêtre, une cinquantaine d’années de ministère à son actif, qu’elle appelle le « 20e saint » . Selon elle, il a vraiment la baraka : présent à Tibhirine le soir de l’enlèvement des 7 moines, il a réchappé à plusieurs tentatives d’agression. Il participe à des rencontres de prière et de dialogue avec des musulmans. En secret, car le prosélytisme n’a pas droit de cité en terre d’Islam, l’évêque du lieu allant jusqu’à l’interdire formellement. Cela corrobore l’information selon laquelle Mgr Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon, n’aurait pas obtenu son visa pour l’Algérie : il était accompagné de personnes notoirement engagées dans la conversion des musulmans !

L’après-midi nous conduira sur la crête du massif où se dresse le fort de Santa Cruz érigé fin XVI-début XVII par les Espagnols. Un lieu stratégique, siège de combats sanglants opposant Ottomans et maures vassaux aux Espagnols et tribus arabes. De l’autre côté de la pointe, Mers-el-Kébir qui abrite le plus grand port militaire de la Méditerranée. C’est là que s’est produit, en 1940, l’attaque par les Anglais de la flotte française faisant 1300 morts et 350 blessés. Tout cela parce qu’ils redoutaient que le gouvernement de Vichy ne fasse ami-ami avec Hitler en mettant la flotte française à sa disposition. L’occasion de stigmatiser la « perfide Albion »…
Pour fêter notre prochain départ, nous nous offrons un menu typique dans l’une des meilleures tables de la ville, le Royal Hôtel. Décor somptueux, service aux petits soins.

Dimanche 5 mai : le dernier jour est arrivé. Apprenons par l’agence Zig-Zag qui chapeaute notre séjour que la traversée pour Marseille est annulée. Suite à des intempéries ? Notre bateau serait dirigé vers Alicante pour des questions de business ? On ne le saura jamais, malgré notre petite enquête menée auprès des uns et des autres. On nous balade dans tous les sens : c’est cela aussi la réalité de ce pays. Bref, on doit se rabattre sur l’avion…
La matinée du dimanche sera largement occupée à faire, dans un premier temps, la tournée des distributeurs de billets, tous à sec (passé le week-end algérien), pour mettre la main sur la totalité du prix des 11 billets d’avion en dinars. D’où plusieurs allers-et-retours à l’Hôtel Sheraton, seul lieu pourvu du fameux sésame, et un temps fou passé dans l’agence de voyages. L’après-midi a permis à chacun de vivre sa vie.

Sommes tous rentrés sains et saufs de cette super équipée. Merci Sidi Philippe ! Premières impressions en touchant le sol français à Marseille : mon Dieu, que c’est propre . Et que la France est belle. Pourvu que ça dure...

Ariane Laballe, Seconde Orante de la Charte de Fontevrault

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