Jean-Louis Bardois ” Le Sillon des Français en Algérie”

« La protestation gronde de plus en plus fort contre l’enseignement thématique. Ce dernier a permis de faire de la sociologie plutôt que de l’Histoire, ce qui est évidemment bien plus pratique pour instiller de l’idéologie »

Entretien avec Jean-Louis Bardois, auteur de Le Sillon des Français en Algérie (propos recueillis par Fabrice Dutilleul)

Encore l’Algérie, cinquante ans après… pourquoi ce livre ?

Il est vrai que cet épisode de notre Histoire contemporaine est source d’une prolifération de livres. Justement, mémoires, romans, souvenirs, révoltes, témoignages, souvent passionnants, à la fois déterminants et ignorés, ont besoin d’un cadre issu lui-même de la même expérience et du même regard… J’ai jugé utile de définir le contexte de cette Histoire pour nous mettre au service de cette abondante littérature : un document de moins de trois cinquante pages pour dire : « Voila ce qui fut selon notre connaissance et comment nous fumes conduits vers ces sentiments, ces ressentiments, et je n’en connais pas beaucoup, qui puissent ainsi servir à la famille, aux amis, pourquoi pas aux adversaires, afin de mieux nous comprendre »…

Vous êtes vous-même Pieds-noirs ?

Oui, c’est ce qui me permet de revendiquer un regard inaccessible aux historiens des dernières générations. Les bouleversements de l’Histoire ne peuvent pas, et ne devraient pas, seulement se décrire selon des critères uniquement rationnels. Les meurtres sauvages, les appels à l’extermination des Français qui ont marqué le départ de l’insurrection algérienne ne traduisent pas l’analyse de la situation et les projets de tous les responsables de la lutte indépendantiste, mais ils forgent le vécu et les souvenirs des populations d’origine européenne enracinés sur cette terre. Du côté maternel, j’étais un descendant de la cinquième génération d’émigrés français, italiens et maltais établis dans l’est algérien. Ma famille paternelle est bretonne, venue en Algérie dans les années 20. Merci de ne pas répéter que mon grand-père était receveur des contributions… Je suis né à Alger le 28 octobre 1944, ce même jour où naissait à Paris Michel Colucci, dit Coluche : pour les amateurs d’astrologie, je partageais avec lui le goût de la dérision et de la vitesse… Enfant, j’ai, grâce à mon père beaucoup voyagé dans l’Algérie. J’ai vécu passionnément les « événements » et étais engagé dès l’âge de treize ans dans l’AGELCA de Jacques Roseau : je vendais son journal, Le Bahut, dans les rues d’Alger. Et puis d’autres engagements…

Français : La P'tite Lili Ketty Albertini avec...

Français : La P’tite Lili Ketty Albertini avec, entre autres, Edith Piaf – Théâtre de l’ABC (Photo credit: Wikipedia)

Mais mes souvenirs n’appartiennent qu’à moi : ils ne sont là que pour éclairer mon regard. Il n’empêche que, en ces temps de commémoration du cinquantième anniversaire de la disparition d’Édith Piaf, la plus belle interprétation de « Je ne regrette rien » fut celle des légionnaires du 2e REP…

Votre présentation chronologique est sévère… … mais indispensable.

Un jeune professeur d’Histoire découvrant le projet de ce livre chez un ami s’est écriée : « Mais c’est chronologique ! », exactement sur le ton qu’il aurait utilisé en découvrant un vase étrusque dans son potager. Chaque jour est enfant de la veille et père du lendemain. Je me souviens d’une de mes filles, aujourd’hui diplômée universitaire, qui ne savait pas, à la veille de son baccalauréat, qui, de Napoléon Ier ou de Louis XIV, avait précédé l’autre… Imaginez les romans à publier en inversant leurs règnes ! La protestation gronde de plus en plus fort contre l’enseignement thématique. Ce dernier a permis de faire de la sociologie plutôt que de l’Histoire, ce qui est évidemment bien plus pratique pour instiller de l’idéologie. Nous avons transformé la décolonisation en fatalité bien assumée. L’idéal fût que la décolonisation soit le fait de l’émancipation naturelle des contrées colonisées comme conséquence de l’instruction acquise par les peuples y vivant et, ainsi, l’obtention d’un niveau de développement nécessaire à l’existence de pays forts et modernes. La réalité est que la décolonisation fût une débâcle hâtive imposée aux pays occidentaux affaiblis par leurs divisions face à des alliances hostiles… Histoire qui porte tous les gènes de l’Algérie d’aujourd’hui…

Le Sillon des Français en Algérie de Jean-Louis Bardois, Préface de Gérard Bramoullé, 260 pages, 26 euros, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa

 

diffusion@francephi.com

 

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